La Maison à la tourelle

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Aller sans retour dans une Union soviétique déshumanisée et déchirée par la guerre.

Pour comprendre cette histoire de maison à tourelle, il faut revenir à la nouvelle éponyme de Friedrich Gorenstein dont le film de Eva Neymann est adapté : en 1944, un garçon de neuf ans traverse en train, avec sa mère, l’Union soviétique dévastée par la Seconde Guerre mondiale. Le trajet est éprouvant, elle tombe malade, son fils se retrouve rapidement livré à lui-même. Elle n’a qu’un seul objectif, qu’il s’en sorte, et n’a de cesse de lui rappeler l’adresse de la maison familiale à Kiev, reconnaissable à sa tourelle. Dans le film, la demeure apparaît plusieurs fois, mais plus comme une image mentale que comme un lieu proprement défini : elle évoque un endroit chaleureux mais inaccessible, comme coincé dans une boule à neige qu’on ne cesserait de secouer sans pouvoir la briser. Dans la nouvelle, le petit garçon ne l’atteint jamais et sera placé en orphelinat. Il s’agit en fait du récit autobiographique de Gorenstein, de son enfance marquée par la guerre. L’écrivain est connu pour avoir été scénariste du Solaris (1972) de Tarkovski, ce dernier ayant un temps pensé à adapter lui-même sa Maison à la tourelle (1964).

C’est finalement Eva Neymann qui s’en charge, après avoir déjà adapté à l’écran – à sa demande – un autre livre de Gorenstein, Les Petites vieilles (1964), dont elle a tiré Au bord de l’eau (2007). La Maison à la tourelle est son premier film à être distribué en France, après un passage dans plusieurs festivals mondiaux et un prix East of the West glané au Festival international du film de Karlovy Vary, en République Tchèque. Dans un noir et blanc somptueux, elle met en scène le parcours quasi dickensien d’un jeune garçon livré à lui-même en pleine guerre après la mort de sa mère dans un hôpital militaire des suites d’une maladie contractée en cours de trajet. Extrême pauvreté, indifférence générale, déshumanisation : le programme est lourd, et La Maison à la tourelle n’échappe au parfaitement sordide que grâce à ses vélléités poétiques, fussent-elles poésie de la misère. Certaines images confinent au formalisme, mais l’ensemble évite la vacuité par l’atmosphère véhiculée. Outre la reconstitution admirable de l’époque, les plans d’extérieurs enneigés contrastent assez idéalement avec les scènes de train, espace clos où la vie continue malgré elle, même si mouvementée et grotesque – l’endroit où l’on vole l’argent d’un orphelin de neuf ans, où l’on utilise son drame pour arriver à ses propres fins.

 

Si Eva Neymann a la main lourde sur certains personnages secondaires – le couple arriviste qui profite de l’enfant, indifférent à ses malheurs -, elle a trouvé deux premiers rôles exemplaires. La mère d’abord, Katerina Golubeva – ex-compagne de Leos Carax, aperçue notamment dans Pola X (1999) et décédée deux mois après le tournage -, dont le jeu tout en intériorité fait des merveilles. Le jeune garçon surtout, Dmitriy Kobetskoy, acteur non-professionnel et orphelin lui-même. La cinéaste filme à sa hauteur, et les scènes les plus fortes sont celles où on le voit déambuler, incertain quant à sa destination mais solidement déterminé à continuer d’avancer. Grâce à lui, La Maison à la tourelle trouve son rythme d’errement vers l’avant, au gré des roues d’un train dont on ne sait pas s’il mènera le gamin à bon port mais qui, en tous cas, va ailleurs. Beau film hypnotique de déplacement permanent, qu’un sourire à peine esquissé en fin de rêve parvient à sauver du désespoir absolu.

Titre original : Dom s bashenkoy

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Durée : 80 mn


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