La Folie Almayer

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Avec « La Captive », Chantal Akerman proposait il y a plus de dix ans l’une des plus belles adaptations contemporaines d’un monument littéraire. Qu’en est-il de ce dernier film ? Tout autre chose, hélas…

Libre adaptation du premier roman éponyme de Joseph Conrad, paru en 1896, le nouveau film de fiction de Chantal Akerman déçoit ô combien. Elle qui a su nous éblouir il n’y a pas si longtemps avec La Captive (2000), sublime et encore mémorable réappropriation cinématographique d’un fragment de La Recherche de Proust (précisément la trame principale de La Prisonnière, celle du gouffre de la relation du Narrateur et Albertine), semble cette fois tout du long dépassée par sa matière de départ. Les méandres d’une confusion mentale inextricable – celle du personnage titre – tirent étrangement son art d’ordinaire si diffus vers la pose, la mise en scène en miroir.

Appauvri, sans perspective d’ascension, Almayer erre dans les vastes paysages de sa propriété d’Asie du Sud-Est, dans l’espoir que lui revienne le seul être qui au fond le retient encore : Nina, la fille qu’il eut avec une Malaisienne. Si la trame du scénario est bien celle du roman, Akerman, fidèle à sa manière, ne se prive pas de centrer au maximum sa mise en scène sur le dessin de longs blocs de temps accueillant avec plus ou moins de bonheur les passages d’Almayer de l’expression furieuse de sa solitude au recueillement silencieux, sans cette fois parvenir à instaurer le trouble désiré. Quelque chose dans cette Folie Almayer est comme trop forcé, trop appuyé, la mise en scène finissant par ne plus apparaître comme davantage que le suivi d’une pure et simple note d’intention. Rarement ce cinéma, dont la singularité et la puissance reposent en grande partie depuis plus de quarante ans sur une matérialisation d’espaces en pleine résonance avec une pensée (la sienne dans ses documentaires et installations, celle de ses personnages dans ses fictions), aura paru aussi hiératique et démonstratif.

Restent les acteurs. Après une carrière ayant démarré sur les chapeaux de roue fin 90’s-début 00’s, Stanislas Merhar s’était fait plutôt rare sur les écrans ces dernières années. Après En ville de Valérie Mréjen et L’art d’aimer d’Emmanuel Mouret l’an passé, ces retrouvailles avec Akerman plus de dix ans après, si elles sont artistiquement bien moins heureuses, ont au moins pour intérêt de révéler un jeu plus brusque, plus souffrant. Celui de l’homme presque mûr qu’il est devenu, du père à peu près vraisemblable d’une jeune adulte ? Sans doute. Encore trop jeune pour ne plus ressembler à l’ange blond qu’il fut chez Akerman, Anne Fontaine, Oliveira, Jacquot ou Brisseau, son appel désespéré à l’amour de Nina apporte à leurs quelques scènes communes une certaine ambiguïté. Cette relation, si elle venait à prendre corps, pourrait-elle se prémunir de l »inceste ?

Face à lui, malgré la présence furtive de Marc Barbé – pas à son meilleur – en Capitaine Lingard, c’est surtout Aurora Marion (Nina), qui tire son épingle du jeu. Elle qui, après une heure de torpeur à la limite du supportable, confère par intermittences au deuxième acte un semblant de souffle, d’urgence, de passion. En pleine quête existentielle, Nina, sur le conseil d’une mère depuis longtemps délaissée, se refuse au monde des Blancs promis par ce père que finalement elle ne connait pas. Sans parvenir pour autant à briser la raideur de la structure des scènes, Aurora Marion s’affirme de loin en loin comme l’électron libre du dispositif d’Akerman, celui par lequel l’émotion, le trouble identitaire à l’origine de l’écriture voyagée de Conrad, finit malgré tout par s’incarner. Élan final ne suffisant malheureusement pas à porter La Folie Almayer à la hauteur de ses évidentes aspirations.

Titre original : La Folie Almayer

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Durée : 127 mn


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