L’incipit, une scène d’auscultation, ne laisse aucun doute sur l’importance que les réalisateurs entendent accorder à leur héroïne. Durant un long plan-séquence, alors que seul le dos du patient nous est révélé, et que Julien (Olivier Bonnaud), le stagiaire de Jenny, est placé en retrait, toute l’attention est portée sur la précision des gestes de la jeune doctoresse, sur sa conscience professionnelle et son assurance. Le portrait de Jenny, et plus précisément sa rédemption, deviennent un enjeu majeur du récit. Mais cet axe est ostensiblement souligné par la mise en scène, et ce au détriment de l’arrière-plan humain et social. Ainsi, durant les récurrentes scènes de consultation médicale ou d’enquête, la caméra reste trop souvent figée sur les émotions de la jeune femme plutôt que sur les visages de ses interlocuteurs. En guise de peinture sociale, les Dardenne se limitent à un inventaire systématique, où se succèdent : un diabétique obèse dans l’impossibilité de se déplacer pour gérer ses problèmes domestiques, un immigré blessé en situation irrégulière, des personnes âgées dépendantes… Chaque situation servant à démontrer l’humanité naissante de la jeune femme, soulignée entre autres par les multiples moments de partage avec ses patients autour de gaufres, café, gâteaux préparés spécialement à son intention. Seuls deux personnages sont dotés d’un supplément d’épaisseur. Le père de Bryan (Jérémie Renier) et le fils Lambert (Olivier Gourmet), les deux acteurs disposant chacun d’une « grande » scène rappelant leurs prestations antérieures dans l’univers des frères Dardenne.
Une des qualités habituelles du cinéma des réalisateurs belges réside dans la tension qu’ils réussissent à insuffler à leurs desseins. Les environnements dans lesquels sont immergés leurs récits y contribuent grandement. Des zones isolées et oubliées, des lieux peu hospitaliers, voire glauques, qui exacerbent le sentiment d’inquiétude des protagonistes. La Fille inconnue a été tourné dans la ville industrielle de Seraing, en Belgique. Si l’on retrouve la topographie « dardennienne » (boulevards périphériques, parking en bordure de voie rapide), la mise en scène ne semble pas vouloir exploiter l’impact de ce type d’environnement. Cela est dû en partie au choix d’une photographie relativement douce et lumineuse qui aseptise les lieux visités. Par ailleurs, l’intrigue policière, qui aurait pu nous maintenir en haleine, n’est pas assez tenue pour que l’on s’y intéresse vraiment, et ce ne sont pas les prévisibles rebondissements qui permettront de relancer la mécanique. C’est probablement ce constat qui a conduit les réalisateurs, suite à la première projection du film au festival de Cannes, à raccourcir d’une dizaine de minutes la durée totale du film. En réduisant la durée de certaines scènes, plutôt qu’en supprimant entièrement certaines séquences, les deux frères pensaient imprégner plus de rythme au récit. Ce travail de montage n’a visiblement pas produit les effets escomptés. La Fille inconnue peine à retenir notre intérêt et notre attention et se révèle comme une réelle déception.