La Dernière séance

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« Il n’y pas vraiment d’intérêt à faire quoi que ce soit dans la vie car le temps d’un battement de cil et tout s’arrête. La prochaine chose à savoir alors, c’est que la rigidité cadavérique s’installe. » Wes Anderson

S’il connaissait déjà la renommée en tant que critique, c’est La dernière séance (The Last Picture Show) qui ouvrira à Peter Bogdanovich la voie du succès au cinéma en 1971. Nommé huit fois aux Oscars, triomphe public autant que critique, l’autoroute de la réussite s’offre alors à lui. On le considère comme un des fiers représentants du Nouvel Hollywood, et ses prochains films seront attendus tournant. Malheureusement : le passage est glissant dans les virages. Il enchaînera bien entendu plusieurs autres métrages aux excellents retours, comme La Barbe à Papa ou On s’fait la valise docteur, mais après les années 70 il ne rencontrera plus le même succès. Pourtant, il reste une inspiration incontestée pour nombres de cinéastes. On citera notamment Wes Anderson avec qui il entretient un rapport amical presque professoral. Alors avant que ne ferme le cinéma, faisons-nous une Dernière séance.

Rappelle toi simplement ma jolie …

Dans la petite ville d’Anarene, perdue au fin fond du Texas dans les États-Unis des années 50 règne l’ennui. Faut dire qu’il n’y a pas grand-chose à faire dans la campagne maintenant que tout le monde est parti pour les grandes villes les plus proches. Pour sûr il y a quand même la vieille salle de billard décrépie et le ciné du coin mais ça n’empêche pas de tourner en rond. Si encore il y avait une bonne équipe de football, mais non chaque match est catastrophique. Les filles à la rigueur ? Étant donné que Sonny (Timothy Bottoms) vient de se faire larguer et que Duane (Jeff Bridges) se persuade qu’il va épouser son amour de lycée bien que la belle soit déjà passée à autre chose, on n’est pas sur ce qu’on pourrait qualifier de réussite. Mais étrangement personne ne quitte l’endroit. Bien sûr on monte dans d’autres petites villes du coin histoire de se donner l’impression d’être vivant, on essayera même le Mexique en quête de dépaysement mais le cœur, lui, reste toujours à Anarene. C’est comme si derrière l’immensité de ces paysages capturés en plans larges se cachait une merveilleuse raison de rester dans ce trou mais que personne n’avait réellement réussi à la trouver. Alors dans le doute et bien on attends le retour de jours meilleurs sans la certitude que s’ils se présentaient on saurait les reconnaître. C’est le regret d’une époque qui n’a jamais existé ailleurs que dans leur tête.

 

 

… tout devient ennuyant si tu le fais assez longtemps.

La dernière séance est un film à limites. Celles des petites communautés dans lesquelles les rumeurs vont plus vite que la vérité. Celles du mode de pensée des années 50 qui considère normal de ne pas punir plus que de quelques mois un acte pédocriminel ou qu’une femme ne soit rien de plus que l’épouse de son mari. Oui, car à Anarene les femmes aussi on l’ennui difficile. Épouses, mères, mais jamais humaines à part entière, elles sont sans cesse rabaissées ou à défaut mal considérées par les hommes. Ruth (Cloris Leachman) s’éteint dans sa maison de plain-pied pendant que son mari coache des équipes sportives pas foutues de gagner. Jacy (Cybill Shepherd) cherche à se sentir vivante au travers des garçons qui l’entourent. Genevieve (Eileen Brennan), elle, se retrouve coincée à servir des cheeseburgers pour payer les frais d’hôpital de son compagnon. Et Lois (Ellen Burstyn) enchaîne les hommes moins pour s’occuper pendant que Monsieur travaille que pour anesthésier le manque de son seul et unique amour. Car c’est tout le paradoxe de La dernière séance, les hommes les rendent malheureuses mais c’est aussi au travers d’eux qu’elles cherchent une issue, incapables de sortir de cette dynamique qui leur imposent un besoin presque pathologique du genre opposé. Et c’est ainsi que jeunes comme moins jeunes courent après le regard, l’attention, la chaleur des hommes. Si elles s’étaient rendues compte pourtant, que sans elles : pas de film. À la fois meilleur souvenir, échappatoire à la réalité ou tout bonnement confidente : les femmes de Peter Bogdanovich sont chacune à leur manière un petit miracle que la caméra ne cesse de suivre, un brin obsessionnelle. Les gros plans sur le visage de Ruth notamment, exposent crûment la moindre de ses émotions, nous forçant y faire face alors que ses yeux, déjà, nous renvoient notre incompréhension.

 

 

Alors si tu veux explorer la monotonie rapidement, épouse Duane.

Et alors que le vent commence à se lever sur la ville, Sonny et Duane continuent leur parcours initiatique vers l’âge adulte. De camarades, compagnons d’infortune, potes peut-être, La dernière séance les fera passer à inconnus puis à amis. Parce que si leurs routes se séparent à la toute fin c’est dans le respect de ce qu’ils ont été l’un pour l’autre. Ils sont l’incarnation de ce passage compliqué dans une vie, de ce moment où la jeunesse semble se débarrasser de sa légèreté pour se préparer au poids des responsabilités. Duane, nid à emmerdes toujours dans la provocation, fini par arrêter de pourchasser des chimères et décide de s’engager dans l’armée. Si l’on sent bien que c’est un peu par défaut, il fait de lui-même le choix d’enfin arrêter de courir. Comme deux faces d’une même pièce, tous les opposent et Sonny quant à lui est un adolescent calme et serviable. Il se contente de suivre le mouvement sans toutefois y adhérer réellement. Il prend ce qu’on lui donne, va là on où on le lui dit. Sonny ne semble jamais réellement désirer quelque chose et il faudra attendre la mort de son ami pour que celui-ci se révèle. Alors que Billy n’avait jamais utilisé sa voix : Sonny parlera pour deux. Choisissant son avenir et ce en acceptant que cela signifie parfois de se retrouver à exister uniquement par et pour soi-même.

 

Là-bas, les ados se cherchent pendant que les adultes se fuient. Et durant les deux heures que dure ce voyage à Anarene, de la contemplation de la vie des uns et des autres naît la poésie. On assiste à une période de transition, à la fois dans le cinéma classique hollywoodien qui se meurt pour voir apparaître un nouvel Hollywood sans compromis, qu’à l’échelle des personnages qui sont à l’aube du bouleversement de leur vie. Peter Bogdanovich nous offre une tranche de vie, un instant sans avant ni après — il sortira une suite, Texasville, en 1990 mais le film était au départ destiné à être un volet unique. Alors avant que l’écran ne s’éteigne on aura appris moins à connaître les personnages qu’à pénétrer l’intimité des campagnes étatsuniennes et l’ennui qui les habitent. « De toute façon à quoi bon ? » nous  balance presque le film au visage, faisant se lever la tempête sur la ville éteinte. À quoi bon ? Dans le fond tout n’est que passager, rien ne dure. Sonny, Duane, Jacy et les autres autant que nous sont éphémères : le vent l’emportera.

Titre original : The Last picture show

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Durée : 118 mn


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