Horreur totale et humour déroutant
Attirées par la promesse d’une bonne dose de dope, Sandra et son amie Lucy se retrouvent kidnappées par leurs prétendus dealers, un quatuor d’ignobles et dégénérés assassins. C’est le début d’un long calvaire pour l’ensemble des protagonistes. Mis en chantier pour un peu moins de quatre-vingt-dix mille dollars, avec son ami Sean Cunhigam à la production ; La Dernière maison sur la gauche, a contribué comme Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper,1974) à façonner un nouveau visage de l’horreur ; le Mal pour le Mal, la violence sous sa forme la plus sèche et la plus frontale, sans tabous, sans une once d’argumentation préalable. Chez Craven, la monstruosité prend une forme plus universelle et par conséquente plus effrayante, en effet alors que chez Tobe Hooper, les visages de l’horreur seront issus de la typologie peu reluisante, par essence, des Rednecks, rien ne conditionnait par avance de telles déviances chez la bande de Krug, – constitué de son fils rendu toxico, du malingre Fred, et de Sadie la fille totalement décomplexée du groupe. Dans la dernière partie des festivités, l’œil pour œil, dent pour dent orchestré par les parents d’une des deux victimes démontre, s’il en était encore besoin, l’étendue de la contamination. Au total, le bilan comptable est sans appel, à l’usage sans frein des armes conventionnelles s’ajoute un arsenal des plus sadiques : viols, humiliations, mutilations, éviscérations, émasculation, tronçonnage… Tandis que les victimes et leurs agresseurs pataugent dans le sang, les deux flics du comté pataugent dans la semoule. Tantôt retenus par des envies de gâteau, tantôt immobilisés par une panne d’essence, l’humour potache des situations grotesques -comme quelques années après dans la série Shérif, fais-moi peur – offre des interstices de respiration au spectateur et des boulevards de liberté aux criminels.
De riches inspirations
Étonnement, lors de ses interviews, Wes Craven avoue s’être inspiré de La source (1960) de Bergman pour le point de départ de son scénario : le viol en forêt d’une des deux copines Au début du générique, un bandeau annonce une histoire vraie, dans laquelle les noms des personnages sont changés, pour protéger les survivants ; documenteur, effets de Found Footage avant l’heure, les doutes ajoutent de l’effroi. L’image granuleuse et certains hiatus de montage – volontaires ici – s’inscrivent dans l’ esthétique grasse et malaisante du Hardcore. Un univers dans lequel Craven a fait ses armes, sous un pseudonyme, notamment dans Gorge profonde (Gerard Damiano, 1972), et dont il reprend ici avec malice certains codes outrancièrement provocateurs : la scène d’exhibition de Sandra dans la douche chauffée comme un sauna, les jeux d’acteur qui sonnent faux quand on aborde les interdits, les allusions scabreuses du père à propos des seins de sa fille qui pointent sous son pull…. Craven se montre « un chouia » plus grossier que l’apparente pudibonderie américaine. Comme souvent, les budgets limités sont les sources d’inspiration les plus fertiles. Les visages hallucinants des tueurs sans âme sont bien plus révulsifs que les conséquences de leurs gestes. Les taches de sang et des autres secrétions corporelles qui collent à la peau et aux vêtements bien plus prégnantes psychologiquement que des gros plans sur les modus-operandi. La brièveté des plans lors des éviscérations, les raccords rythmés par la panique, les bruits assourdissants; aucune pulsion n’est contrôlable. Un déchainement d’horreurs qui a marqué et marquera les cinéphiles du genre.
La Dernière maison sur la gauche. ESC Editions -Cult’Edition : Coffret collector limité (comprenant une version VHS et des versions alternatives), sortie le 21 février.