Western envoûtant, « Keoma » ferme la marche de sa propre lignée générique dans un dernier souffle mystique.
Sorti en 1976, Keoma d’Enzo G. Castellari se place dans une période charnière du cinéma italien qui connaît , dès la fin de cette décennie, un net recul dans sa production délirante de films de genre. Péplums, gialli, westerns… Tous ces petits budgets souvent généreux, stylisés et inventifs cèdent progressivement leur place (et leur financement) à la télévision italienne qui produit et diffuse ainsi ses propres fictions. Sergio Leone, sans doute la plus grande figure de cet âge d’or, a porté le western italien au plus haut dès la fin des années 60 avec Il était une fois dans l’Ouest, mais la surcharge du marché et la lassitude du spectateur ont progressivement raison du succès du genre en salle.
Les producteurs veulent suivre les nouvelles modes, celles qui viennent des Etats-Unis, et copier à toute vitesse mais avec un budget ridicule tous les succès en provenance d’Hollywood. Les vieux réalisateurs, efficaces et rapides, sont alors recyclés dans des productions qu’ils parviennent difficilement à s’approprier. Voilà comment expliquer les filmographies d’artisans dévoués comme Umberto Lenzi, Lucio Fulci et bien sûr Castellari, amenés à shooter n’importe quel sous-Mad Max en carton dès la fin des années 70, laissant de côté un savoir faire presque disparu aujourd’hui. Keoma demeure donc l’un des derniers bons films de son auteur, aujourd’hui plus connu pour Les Guerriers du Bronx et La Mort au Large (pathétique pastiche des Dents de la Mer) qui ont fait la suite et la fin de sa carrière avant de se réfugier, comme beaucoup, dans les productions télés.
Keoma respire cette fin de genre, se présentant comme un western brumeux, mettant en scène un personnage iconique typique de cette mythologie. Silencieux, vertueux, solitaire et rapide de la gâchette, Keoma (incarné par le charismatique Franco Nero), cow-boy métis, résume plusieurs décennies d’héroïsme italien. De retour dans la ville paternelle, Keoma constate les ravages de la peste et de la corruption qui règne en maître, notamment celle établie par ses frères, désireux de s’approprier le pouvoir dans cette zone de non-droit. Point de départ classique, introduit par de longs plans du cavalier solitaire perdu dans d’immenses paysages rocheux dont le développement semble dorénavant tracé. Castellari ne se contente pourtant pas de livrer un simple produit d’exploitation aux références évidentes et propose une ambiance psychédélique déconcertante et finalement envoutante. Impossible d’ignorer l’étonnante bande son de Keoma tant elle est imposée de manière cyclique. Mêlant arpèges de guitare et chant hippie funèbre à la Jefferson Airplane, elle semble tout d’abord totalement hors du film avant de révéler progressivement sa nature hypnotique, renvoyant ainsi, toute proportion gardée, aux classiques de Morricone.
Cette étrange bande-son conforte le spectateur dans son rapport au personnage fièrement campé par Franco Nero qui, vêtu à l’indienne, arborant barbe et cheveux longs, renvoie justement à la figure du hippie, voire à celle du Christ lui-même, comme le laisse supposer la mise en scène biblique du dernier acte, crucifixion à l’appui. Hésitant entre une auto-défense frénétique et un retour salvateur à des valeurs plus humaines, Keoma est en fait en pleine crise identitaire. Toute la beauté du film réside ainsi dans le rapport père-fils qui dessine les enjeux narratifs du métrage à travers une lutte fratricide dont l’issue n’est ni la prise de pouvoir, ni la justice mais bien l’amour du père, dernier rempart identitaire avant la perte totale de repères moraux. Keoma, l’indien adopté et aimé par un père blanc, a provoqué la discorde chez ses trois demi-frères qui ne voient en lui qu’un sauvage, vision également appliquée à leur ancien serviteur noir qui n’est plus que l’ombre de lui-même depuis son départ de la maison. Les personnages gravitent ainsi tous autour de la figure du père (ou du maître) et s’en éloignent par la gravité progressive de leurs actes.
Castellari sait mettre en avant la force narrative de son film et progresse entre rythme en dents-de-scie et fulgurances de mise en scène, caractéristiques notoires des produits d’exploitations transalpins. Le cinéaste illustre ainsi son talent grâce à de multiples trouvailles dans les cadrages et dans la gestion de l’espace, pourtant balisée à l’extrême dans le western italien. Parfois déroutant dans son déroulement narratif qui intègre des flash-back et des éléments frôlant l’onirisme, Keoma parvient à trouver sa place grâce à une vraie vision d’auteur, imposant au métrage un traitement original dans sa narration et sa mise en scène. Le dernier acte, avec une scène de fusillade interminable, déchainée par le meurtre attendu du père, surprend par son déferlement de violence ininterrompu et contraste avec l’atmosphère psychédélique et envoutante qui imprégnait jusqu’ici le métrage. La singularité du film de Castellari prend ainsi tout son sens dans sa capacité à réinvestir les codes du western dans un traitement inventif, à la fois violent, onirique et élégiaque. Et si Keoma est l’un des derniers représentants de sa lignée, Franco Nero et Enzo G. Castellari sont encore actifs et sollicités par leurs admirateurs, comme Quentin Tarentino qui a récemment offert à ce dernier un rôle de Nazi dans son Inglorious Basterds en hommage à Une Poignée de salopards réalisé par Castellari en 1978, dont le titre original n’est autre qu’Inglorious Bastards !
Exemple d’une séquence illustrant le talent de Castellari pour créer des mises en scène simples et originales. Ici, Keoma propose à ses ennemis de racheter les médicaments dont ils veulent s’accaparer. Son prix : 4 cents, un pour chaque balle. La caméra adopte alors l’exact point de vue de Keoma lorsqu’il se met à compter jusqu’à 4 en condamnant chaque personnage au fur et à mesure qu’il plie ses doigts avant de les exécuter dans l’ordre prévue à l’avance.
Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.
Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.
En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…