Juniors

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C’est parfois en mentant qu’on apprend à dire l’indicible vérité. Surtout quand on est un adolescent narcissique !

L’école, terroir fertile de quelques-unes des meilleures comédies

Une amie actrice m’a un jour raconté un de ses cours au conservatoire. Ayant pris, par mégarde, l’écharpe de sa mère, elle s’était mise sans s’en rendre compte et sans pouvoir le contrôler à agir comme elle, à utiliser ses mimiques pour faire fleurir en chapelet des scènes et des personnages. Du détail de l’apparence d’un comédien, peut donc émerger toute la substance de l’être qu’il va incarner. D’un simple élément de costume, peut donc apparaître toute une matrice sensorielle, un contexte tout ce qu’il y a de plus proustien, qui va guider ses pas et ses choix. Les augustes et les clowns le savent, on est ce à quoi on ressemble. C’est un peu plus vrai au théâtre qu’au cinéma : Les acteurs sont ce qu’ils portent, et quand ce n’est pas le cas, c’est parce qu’ils portent ce qu’ils sont. Traduit dans le langage de Juniors, premier long-métrage en solo d’Hugo Thomas (il travaille d’habitude avec les frères Boukherma et Marielle Gautier) : « Nouvelle coupe pour une nouvelle vie ». À la base du scénario écrit par Thomas et Jules Lugan, on a en effet un accident capillaire. Rasé à blanc par son ami Patrick (Noah Zandouche), Jordan (Ewan Bourdelles) passe dès la première scène du film d’un agneau banalement mignon (sa tignasse, la même que celle de Vincent Lacoste dans Les Beaux Gosses, Sattouf) à un petit gars svelte, pâle… et chauve. La manière dont est codé ce personnage change vite. Dit en deux dés : Il est décharné et désorné.

Et si, au cours d’une série de quiproquos, Jordan va se retrouver à faire semblant d’avoir un cancer, se gorgeant de l’attention nouvelle que lui apporte cette fausse maladie, le crâne rasé lui aura surtout servi, dans le langage du septième art, à le faire évoluer en une figure bien précise. Pas celle du souffrant, mais celle du marginal, de l’outsider. Celle du petit gobelin imprévisible, punk à souhait et apte à changer de tête du jour au lendemain.

De cette nouvelle coupe peut découler le reste du film : Elle donne au héros le pouvoir d’être visible, voire immanquable. Elle lui donne la capacité de se défiltrer, de demander ce qu’il a toujours voulu avoir sans jamais penser que c’était à sa portée (ce qu’il désire, en tant que collégien : La clé de l’ascenseur du bahut et un rab de frites à la cantine. Bourdelles et Zandouche sont doués pour camper ces pré-pubères pour qui ces choses représentent encore des Saint-Graal). Jordan se met à écouter du rap. Il quitte la position de l’enfant, docile et dans l’attente, pour s’enseigner l’autonomie. Et il le fait comme beaucoup d’autres jeunes l’ont fait avant lui : Égoïstement et sans égard pour la casse qu’il provoque.

Comprenons bien, s’approprier une détresse grave pour des raisons superficielles est une chose horrible. Sans compter la violence, faire semblant d’être atteint d’une condition potentiellement mortelle est à peu près ce qu’on peut faire de pire. Mais d’autres personnages que Jordan s’habillent de la douleur d’autrui, dans Juniors. Au moins symboliquement. Les garçons de sa classe, « par solidarité » envers Jordan, vont à leur tour se raser le crâne. Geste de soutien ou vécu volé ? Là aussi, de l’apparence va découler l’essence. Du changement en surface va sortir le changement en profondeur – Le changement sociétal. Uniformisés par leur action collective et leur caractéristique commune, ces jeunes hommes vont devenir une bande rigide et bien régie. Transformés en nouvelle majorité par une seule décision et quelques coups de tondeuses, ils vont devenir encore un peu plus vicieux et conformisants que la moyenne des collégiens. Une dérive skinhead-isante ou bonehead-ionniste qui fera d’eux les antagonistes du film. Tout un programme, donc.

Cheh et sécher : La vie dans un village paumé et desséché

On a déjà vu des films comme Juniors – Leurs écosystèmes bien définis d’élèves différents, leurs personnages féminins bien trop alt pour leurs petits patelins. On en a déjà vu en France, même. Outre Les Beaux Gosses précités, on peut penser à Camille Redouble, Lvovsky, avec un rapport similaire au jeu presque naturaliste, et des scènes sur fonds musicaux qui se ressemblent. Les plus mélancoliques préfèreront Camille Redouble, qui bat aussi Juniors au niveau de la distribution adulte : Podalydès, Léaud et Amalric contre une seule Vanessa Paradis, si sympathique soit-elle (et elle l’est beaucoup dans son rôle de mère surmenée). Aussi, de ce sous-genre irrévérencieux, le film trop peu connu de Rudi Rosenberg, Le Nouveau, me vient à l’esprit : Dans un rôle équivalent de meilleur ami, Joshua Raccah y était aussi touchant que Zandouche. Les deux se battent pour avoir le droit d’exister dans toute leur maladresse idiosyncratique, leur disgrace d’adolescent au visage gras.

On a défini le moteur et le motif du film : Celui du rasage, et non de la calvitie (au cinéma, un homme chauve est un homme chauve, et un homme rasé, un homme rasé – C’est la personne qui se rase dans le champ qui est instable ou en quête de métamorphose radicale). On a vu comment ce motif encadrait le film dans un genre (celui de la teen comédie stylisée, avec des frontières sociales très marquées entre groupes). Il nous reste à signaler que ce motif offre aussi au film un moment comique distinctif (le personnage de Clément) et un moment tragicomique réussi (le personnage de Baptiste). Dans un corpus de comédies françaises insolentes et gentiment trashs, Juniors n’est pas en haut du panier, le podium restant ravi par Sattouf, Lvovsky et Rosenberg. Il est néanmoins très plaisant à voir et se laissera facilement revoir, au moins autant qu’un T’as pécho ?. Et surtout, il semble être une version beaucoup, beaucoup plus aboutie de l’affligeante couronne de malaise qu’était West Coast en 2016.

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Durée : 95 mn


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