J’enrage de son absence

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Une belle prestation d’acteurs et une réalisation soignée ne suffisent pas toujours à fixer la beauté d’un film. Premiers pas de Sandrine Bonnaire dans la fiction, « J’enrage de son absence » fait à ce titre cas d’école.

Cinq ans après son documentaire Elle s’appelle Sabine, qui dévoilait chez Sandrine Bonnaire une sensibilité affranchie de bons sentiments, J’enrage de son absence s’engouffre dans une voie à rebours. Il ne fait pour autant aucun doute que l’actrice-réalisatrice s’est investie pour concrétiser ce projet quasi autobiographique. Mais son engagement aura eu raison de la crédibilité de l’intrigue, laissant même parfois glisser le tragique, perception ô combien hasardeuse, dans la minauderie. Avec ses grandes lignes qui rappellent le cinéma de Pialat, où se révéla jadis Sandrine Bonnaire (À nos amours, 1983), l’histoire de J’enrage de son absence avait de quoi séduire. À la suite d’un terrible accident de voiture il y a dix ans, Jacques et Mado perdent leur enfant puis se séparent. Tandis que Mado finit par se remarier et refonder une famille, Jacques ne parvient jamais vraiment à reprendre goût à la vie. Du jour au lendemain, ce dernier revient dans la vie de Mado et rencontre Paul, son fils de 7 ans. Entre eux, se dessine une complicité grandissante, à tel point que Mado empêche bientôt Jacques de revoir Paul.

« Il y a des films dont le scénario est suffisant, la mise en scène sans erreur, dont les acteurs ont du talent et ces films ne valent rien. On ne voit pas ce qui leur manque, mais c’est bien le principal », selon le critique Lucien Wahl. J’enrage de son absence fait partie de ces films où l’âme ne parvient jamais à transparaître, restant tout du long en marge, perpétuellement dans la citation. Outre des accents surannés invoquant péniblement Pialat, la cave de l’immeuble où vit Mado et sa famille remémore par moment le clair obscur des geôles et chambres d’hôpitaux psychiatriques croisées chez Alan Parker (Midnight Express, 1978, et surtout Birdy, 1984).

 

C’est grâce à cet espace cristallisant la solitude et l’infini langueur de Jacques, poisseux, et presque surnaturel, que J’enrage de son absence réussit à tirer son épingle du jeu. Problème : ce refuge, où Jacques va matérialiser sa détresse et tenter de rester en contact avec Paul, semble complètement déconnecté du reste de l’œuvre. Afin de symboliser les destins radicalement opposés de Mado et Jacques, Sandrine Bonnaire utilise en effet deux territoires. Il y a d’une part celui de Mado, qui a trouvé une issue de sortie pour continuer à vivre, un fils et un mari aimant. De l’autre celui de Jacques, cave sinistre à son image, porte ouverte sur un passé révolu auquel il tente désespérément de se raccrocher. Difficile malheureusement de faire coïncider ces deux univers tellement leurs connexions semblent artificielles et décousues. Pas même le plan grue descendant de l’appartement – allégorie d’un présent triomphant – jusqu’à la cave – reliquat du passé – ne concrétise leur liaison.

Dommage, car c’est précisément à partir de la fusion de ce sous-sol au récit que Sandrine Bonnaire aurait pu briller. Quelques-unes des séquences avec Jacques (taiseux et mystérieux William Hurt) s’y déroulant surprennent d’ailleurs par leur intensité. Seul, enfermé dans sa prison de souvenirs, il observe Paul jouer dans le parc attenant à l’immeuble par le biais d’une minuscule fenêtre donnant sur l’extérieur. Celle-ci fait office d’hygiaphone entre leurs deux mondes, où passé et présent tentent une conciliation impossible. Regrettable, l’implication de Bonnaire dans J’enrage de son absence est telle que le sentimentalisme prévaut sur chaque chose. Chaque émotion est maladroitement appuyée, soulignée par une musique lourde aux accords plaqués avec fracas. En dépit de la performance exemplaire de William Hurt, dont le jeu immuable finit néanmoins par lasser, et d’une mise en scène parfois efficace, le film n’atteint jamais l’alchimie.

Titre original : J'enrage de son absence

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Durée : 98 mn


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