Dès lors, si le récit emprunte une trajectoire toute westernienne, l’aspect à la fois ascétique, minéral et cotonneux de la quête du père plonge le film dans un état second, entre hypnose et léthargie. Alonso s’astreint à filmer un corps solitaire condamné à se mouvoir dans un espace sans fin, trouant néanmoins à deux reprises cette belle ligne claire, par l’incursion d’une violence aussi brutale qu’empreinte d’un certain mysticisme relayé à travers d’énigmatiques figures d’autochtones. Il suffit, au détour d’un plan, que surgisse du hors-champ une main ennemie pour qu’un moment d’une raideur dénuée d’effusions dramatiques (l’agonie d’un homme) bascule dans une atmosphère d’inquiétante étrangeté : désincarnée, presque spectrale, cette main sans corps reste l’une des visions les plus marquantes du film. Ainsi, par petites touches, le récit anticipe le virage inattendu opéré dans son dernier tiers, esquissant un univers où le réel et l’imaginaire, comme la vie et la mort, participent d’un même moment en suspension.
La quête d’épure de Jauja, son état de stase, sont reconduits par le motif de la liquidité qui empreint de manière sous-jacente, par-delà la sécheresse de style et la concrétude aride du désert filmé, la totalité du métrage. Telle une émanation obsessionnelle, l’eau est un pont qui néglige les frontières humaines. Elle relie l’aspect matériel, palpable, sensible du film (se désaltérer, se rincer le visage et la nuque à l’orée d’un ruisseau, ou se masturber dans une mare participant, dès lors, d’une même connexion à la nature) à sa dimension symbolique (le chien et la figurine, indices ouverts sur l’imaginaire, émergent du fluide aquatique pour, in fine, s’y dissoudre). Et qu’importe si l’épilogue apparaît de prime abord comme une facilité, car Jauja reconduit par ses deux derniers plans, à la faveur d’une sublime liaison en fondu, une poésie sidérante de beauté qui invite à reconsidérer l’intention de la séquence : nul besoin de sommeil pour convoquer l’imaginaire, quand celui-ci peut émerger, les yeux grands ouverts, à la surface même du visible, affleurant au détour du quotidien dans l’ondoiement d’une mare peuplée de mystères.