In the mood for women : pourquoi les filles font leur cinéma (en série)

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Sortie tant attendue de Sex and the city, le film fait l´événement de cette semaine. Occasion toute trouvée de revenir sur le parcours des héroïnes de séries télévisées. Et en la matière, la dernière décennie s´avère particulièrement étonnante.

Lorsqu’elles ont débarqué sur les écrans dans les années 70, Sabrina, Jill et Kelly apparaissaient comme des modèles d’émancipation. Les Charlie’s Angels ou Drôles de dames, en détectives indépendantes, se sont approprié des rôles jusqu’alors labellisés masculins, y ajoutant leur touche glamour. Si ces trois-là ont gardé une place dans les esprits, notamment avec leur récente adaptation au cinéma, ce n’est pourtant pas à elles que revient la palme de la première série féministe. L’héroïne du sitcom The Mary Tyler Moore Show est en effet considérée comme le premier rôle de « féministe libérale » à la télévision, en tant que célibataire ayant librement choisi de faire carrière plutôt que de se marier. Trente ans plus tard, les femmes n’ont plus à s’imaginer en haut de l’affiche, elles le sont. Une myriade de séries a éclos: et les héroïnes, qu’elles soient fleurs bleues mais indépendantes, subversives mais toujours sexy ou qu’elles débordent de pouvoir, au point parfois d’effrayer ces messieurs, ont parcouru du chemin.

De Ally McBeal à Ugly Betty : de la célibatose à la célibatante

En 2005, Ally (dont la carrière est interrompue depuis 2002) trouve en la parisienne Clara Sheller sa sœur spirituelle. Journaliste bohème, célibataire trentenaire, Clara est le cœur d’artichaut par excellence. Mini-série de six épisodes, le ton un peu moins envolé, Clara Sheller aborde elle aussi le sujet des fantasmes, de l’homosexualité (son colocataire J.P. joué par Frédéric Diefental est gay) et marque une nouvelle avancée en osant l’avortement. Pour Ally comme pour Clara, si un monde sans mari est impensable, une vie sans choix personnels ni liberté d’agir l’est tout autant. Héroïnes à la plastique attrayante et à l’apparence toujours hyper soignée, Ally et Clara se situent à des kilomètres de la tendance actuelle, renversée par la célibataire en vogue, Ugly Betty. Betty Suarez, personnage à la beauté physique pas immédiatement évidente (du moins c’est de cette façon qu’elle est présentée), travaille pour un grand magazine de mode, où l’apparence règne en maîtresse absolue. Clonée pour la télévision allemande, Betty devient Lisa, dans Le destin de Lisa et est elle-même la copie de l’originelle colombienne Yo Soy Betty la fea. Autant dire que les canons de la beauté interrogent un peu partout sur la planète.

Sex and the women

Sex and the city, tandis que Mary Alice, la défunte amie des Desperate Housewives commente en voix-off les états d’âmes des héroïnes. La révolution sexuelle télévisuelle a bien sûr eu lieu avec l’incontournable Sex and the city. New-yorkaises décomplexées, Carrie, Samantha (surtout elle), Miranda et Charlotte partagent avec les téléspectateurs fascinés (au moins une fois par épisode) leur repas croustillant, assaisonné de « fuck and dick » en guise de ponctuation. De la réflexion profonde au moindre détail pratique, tout est matière à discussion, à épluchage, à dissection. Carrie, l’héroïne désignée de la série, donne l’équilibre entre l’explosive blonde nymphomane qui affirme un jour être « trisexuelle » et la puritaine Charlotte qui osera finalement plus de « fantaisies » que son amie. Sans oublier Miranda qui, sous ses airs de working girl cartésienne n’est jamais en reste en ce qui concerne les nouvelles expériences.

De l’autre côté des gratte-ciels branchés, dans le salon d’un pavillon de banlieue proprette, elles discutent aussi. Le ton est moins cru mais les confidences ne tardent pas. Susan, Bree, Gaby et Lynette, quadragénaires au foyer, n’ont pas pour autant plus de répit. Si les tabous sortent par les fêlures faites aux personnages, progressivement et douloureusement (la tendance SM de Rex révèle du même coup la frigidité de son épouse Bree), l’intimité des héroïnes se dévoile au rythme de leur journée. Leur complicité et leur entraide sont souvent la source de leurs victoires. Cependant, les personnages voient régulièrement se restreindre leur marge de manœuvre: les Desperate n’ont pas encore atteint le post-féminisme qui a libéré leurs cousines new-yorkaises. Elles sont resté coincées à l’étage féministe de la lutte pour l’égalité (professionnelle, familiale…) avec les hommes. C’est pourquoi, par exemple, l’idée d’avorter n’effleure jamais Gaby qui n’a pas désiré sa grossesse tandis que Miranda y songe dès qu’elle apprend la nouvelle (ses deux amies Samantha et Carrie sont déjà passées par là).

La chaîne câblée HBO a arraché leur muselière aux femmes avec Sex and the city. Parler de sexe et d’hommes à longueur de temps finit par sembler habituel passé le premier épisode. La chaîne Showtime, concurrente directe de la HBO, a été encore plus loin : non seulement les femmes de The L word dialoguent crûment, mais surtout, elles ont mis les hommes dehors et s’en sortent sexuellement très bien toutes seules. La question est alors de savoir si la création d’une série lesbienne s’appréhende comme la suite logique d’un féminisme télévisuel ou simplement comme un alibi de plus pour exposer plastiques attrayantes et fantasmes masculins. Série créée par des scénaristes lesbiennes, l’enjeu est surtout celui de la visibilité homosexuelle à la télévision. Ensuite, la fluidité de la réalisation, le charme des actrices, l’incursion « en douceur » en terre lesbienne et l’universalité des sujets abordés traduisent une stratégie d’ouverture au large public. Or si la série s’adresse à tous, la représentation de la lesbienne reste communautariste. Betty, Tina, Alice, Dana, Shane et leurs amies évoluent dans une bulle paradisiaque où homophobie et hétérosexuels existent à peine. Est-ce à dire que la viabilité de telles relations n’est possible que de façon fictionnelle ? Probablement pas. L’homosexualité féminine, même cloisonnée, commence à se répandre (le personnage de Courteney Cox dans Dirt ou la relation extra-conjugale d’une protagoniste de Californication), comme une nouvelle liberté dans le choix.

Finalement, la force sérielle des années 2000 s’envisage, pour les femmes, dans la liberté d’élection et de création des liens. Communautés d’amies ou d’amantes, les héroïnes s’émancipent des liens sanguins de la famille pour se construire un cercle rassurant, complice et fidèle, attentivement choisi.

Girl power… what for ?


Les années 2000, en même temps qu’elles surent progressivement confirmer le caractère attractif du personnage féminin, lui donner un relief encore trop rare au cinéma, seront surtout celles d’une passionnante décomplexion de cette féminité. Qui aurait imaginé se passionner pour les aventures d’une mère de famille dealeuse de marijuana (Weeds) il y a encore quelques années ? Acquiescer sans réserve à l’hypothèse de voir une femme prendre les rennes de l’Etat (la brève série Commander in chief)? En même temps que des figures telles que Samantha Jones, la blonde « nymphomane » de Sex and the city, captivaient par la terrifiante frontalité de leurs ébats, par leurs entreprises de séduction toute « masculine », se jouait comme l’affirmation d’une véritable autorité féminine. De manière plus subtile et sans doute bien plus efficace que les Spice Girls de 1996, les nouvelles héroïnes de la fiction américaine ont acquis avec autant de rapidité que de crédibilité le droit de déplaire, de ne pas se ranger dans les cases d’une société inflexiblement patriarcale.

Que cela plaise ou non, la femme sérielle ne s’excuse plus de ses ambitions professionnelles (présidente des Etats-Unis ; directrice d’un cabinet d’avocat ; cynique rédactrice en chef d’un magazine à scandale…). Davantage que l’assentiment des hommes, c’est plutôt la prise de conscience par ces derniers de la désormais incontournable valeur de leur regard, du poids nouveau et bien actuel de leurs idées qui semble porter leur mouvement. Moins travail de castration ou de dévalorisation de leurs pairs masculins que pure aspiration à une pleine existence, à une totale réalisation de leur être, ce mouvement est celui d’une vertigineuse ouverture au possible. La libération, l’ambition, si elles ne manquent pas de défaire quelques-unes de ces femmes nouvelles de leur dimension prioritairement sensible et affective (Ally McBeal touchait encore par ses rêves de princesse, même malmenés), apparaissent ainsi comme le lieu premier de toute une énergie, une constante et renouvelable inspiration fictionnelle.

On objectera peut-être que ce mouvement ne tire au final sa pertinence que d’une démagogique volonté de sur-caractériser la femme, voire de la sur-socialiser en accentuant son a priori insoupçonnable potentiel conquérant. Qu’à ne tirer attrait que par l’accentuation des signes extérieurs de libération, le combat se révèle au final bien plus d’arrière-garde que l’on ne croit. En effet, n’est-il désormais envisageable de ne faire histoire de la féminité qu’en la marginalisant (la « lesbienne » de The L word ; la «border line » de Weeds…), ou, pire, en ne faisant reposer les enjeux que sur sa spectaculaire énergie socio-professionnelle (chef d’Etat, PDG…)? A cela pourrait être répliqué que ce travail d’affirmation des mœurs, d’exposition impudique des pouvoirs nouveaux du féminin, est avant tout une étape, et non un établissement. Que la réactivation d’une énergie fictionnelle digne de ce nom, après une si longue période de censures et d’esquive, ne peut être que bénéfique (exister plus, pour résister plus). Si le sujet « femme » semble à ce jour se généraliser autant, c’est bien sûr en raison de sa trop longue et évidente anesthésie. Là où un personnage comme Sue Ellen, dans Dallas, touchait en même temps qu’il agaçait par son statut d’éternelle victime assez unidimensionnelle, celui par exemple de Miranda Hobbs (la rouquine de Sex and the city) ne cessera de récupérer de ses échecs et bifurcations au fil des saisons.

Belles (pour) toujours ?

Reste à savoir si cette nouvelle féminité sonne aussi le glas de toute une vision de la féminité. Si les cinéphiles sont réputés grands amoureux, éternels admirateurs d’un certain idéal masculin (Cary Grant ; Jude Law…) ou féminin (Ava Gardner ; Natalie Portman…), la question du « désir » concerne-t-elle le sériphage ? Devenue copine de classe (Claire – Hayden Pannetière – dans Heroes) ou sympathique collègue de bureau (Ally, toujours), se projetant dans des horizons lointains (Ally, Carrie, Clara…) plus peut-être qu’elle ne pense pouvoir faire elle-même rêver, la girl semble bel et bien vouée à n’être plus davantage que « next door », terrienne, de tous les jours. Tant mieux : la téléspectatrice s’identifie plus vite, se reconnaît dans l’instant. Tant pis : devenue triviale, l’héroïne moderne est en même temps le symbole plus ou moins avoué d’un certain renoncement à l’inaccessible, d’un désamorçage sec de toute potentialité glamour.

Mais, pris dans un sens moins simpliste, ce constat est aussi celui d’une possibilité, par l’écran de télévision, de saisir à nouveau les divers aspects d’une beauté modeste, d’un charme quotidien. En même temps qu’elle se cogne aux murs et trébuche sur les trottoirs de la ville, la femme sérielle passionne par sa propension à la pure distraction, à la frustration. Incapable de se délester de Big, Carrie émeut par sa manière de se laisser encore une fois prendre au jeu de l’amour dans les bras d’Aidan, tout en sachant parfaitement qu’aucun substitut ne saura réellement et durablement voiler son idéal. La force comique, parfois burlesque, de Bree, Susan, Gabrielle et Lynette résulte souvent d’une prise de conscience parfois tardive (souvent tragique) de leur foncière incapacité à modifier leur statut en profondeur. Entre cris de colère plus ou moins stridents (Rachel, dans Friends, empêchée dans ses élans durant dix ans), difficiles tentatives d’allier réflexes guerriers et domesticité (Sidney Bristow, dans Alias, mi-fille tourmentée, mi-impitoyable machine de guerre…) ou lascivité, résignation mélancolique (Nancy, l’héroïne lunaire de Weeds, jouée par la rare et géniale Mary-Louise Parker…), quelque chose de « la vie » ne cesse de se lire au jour le jour. Ces femmes ne ressemblent qu’à elles-mêmes, ne nous proposent ni plus ni moins que d’assister à toutes les étapes de leur évolution, de la gueule de bois matinale à l’épuisement nocturne, de la tête au réveil au maquillage. Cette proximité, cet accès aux coulisses autant qu’à la scène de la représentation féminine, sans ringardiser l’éternel glamour des icônes de cinéma, est un champs esthétique et fictionnel fort, celui d’une immédiate complicité avec les téléspectateurs, donc d’un amour évolutif.


Ce que veulent les femmes… au cinéma

Le succès et l’explosion des visages féminins sur le petit écran sériel contaminent progressivement le cinéma. Les américains en tête, font de Bridget Jones en 2001, la Ally McBeal des salles obscures. La même année, Mel Gibson cherche à savoir « Ce que veulent les femmes » en pénétrant leurs pensées. Plus récemment, Le Diable s’habille en Prada, de David Frankel (réalisateur chez Sex and the city), reprenait le flambeau en questionnant (même superficiellement) les femmes sur leur lieu de travail. Parallèlement à la déferlante légère, Woody Allen et Sofia Coppola continuent d’instaurer une place de choix à la femme au cinéma. La fiction hexagonale, si elle s’accroche avec de nouvelles séries féminines (Clara Sheller, la suite ne devrait pas tarder, Cinq sœurs, sorte de Sous le soleil version France 2 est diffusé depuis quelques mois), difficile encore, de rivaliser avec l’outre-atlantique. Côté cinéma, outre les comédies d’inspiration américaine (J’me sens pas belle, Tout pour plaire, Modern Love) peu prolixes, les rôles de femmes se multiplient, et affichent un résultat mitigé. Cette année, la comédie originale Didine marquait par sa profondeur, tandis que la tragi-comédie Darling touchait mais restait conventionnelle.

En attendant une implication féminine plus féroce au cinéma et de nouvelles inventions sérielles, il est l’heure pour Carrie et ses complices d’infiltrer le milieu…

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