Il mio corpo

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Entre fiction et documentaire, Michele Pennetta parvient à recréer un univers entier.

Dernière opus d’une trilogie

Deuxième long métrage d’un jeune italien prometteur, Il mio corpo s’inscrit dans un genre cinématographique très contemporain, qui oscille entre documentaire et fiction. Issu de la sélection Acid du festival de Cannes 2020 qui n’a pas eu lieu sous sa forme traditionnelle, le film sort toutefois au cinéma en ces temps troublés et trouvera son public. Deux vies se croisent, s’entrecroisent, et se perdent de vue : celle d’Oscar qui récupère de la ferraille en Sicile avec son père et son frère et celle de Stanley, venu du Niger, qui vivote grâce aux petits boulots que lui propose le curé de la paroisse. Tous les deux, chacun à sa manière, rêvent d’un monde meilleur et d’une autre vie. Il mio corpo est présenté par le réalisateur comme le troisième opus d’une trilogie réalisée en Sicile. Le premier est un moyen métrage, ‘A iucata en 2013 qui abordait déjà le statut des migrants, puis Pescatori di corpi en 2016, un long métrage qui parle des mines de soufre abandonnées en Sicile qui fut longtemps un très grand producteur de ce minerai et on retrouvera ces mêmes mines encore une fois dans Il mio corpo. L’idée est alors de passer de ces mines abandonnées à une autre manière d’exploitation, celle des migrants puisque maintenant la Sicile est devenue plutôt la plaque tournante des migrations européennes.

 

 

Dans les mines abandonnées

Du coup, l’idée est venue à Michele Pennetta de filmer séparément ses deux personnages et de les faire fonctionner pour voir ce que cela pourrait donner. « J’ai commencé à construire ces deux histoires parallèles sans que mes protagonistes en soient avisés, explique-t-il dans le dossier de presse du film. Je les ai suivis en alternance, un jour sur deux. Je ne savais pas encore quelle forme allait prendre le film, étant donné que je ne regarde le matériel qu’au moment du dérushage. » Cela explique sans doute un peu le côté brouillon de certains passages, notamment vers la fin dans cette rencontre entre les deux personnages dans la mine abandonnée dont on n’arrive pas à savoir vraiment si elle est réelle, imaginaire, rêvée ou fantasmée par le réalisateur, ce qui donne un goût un peu inachevé au film qui n’est pas désagréable. Servi par la belle photo et lumière de Paolo Ferrari, le film donne l’impression de ne jamais savoir choisir entre la fiction et le réel si bien que, à la fin, on ne sait pas si on nous a raconté les vraies vies des personnages, ou si ces acteurs jouaient à faire semblant de vivre leurs propres vies. « Cette fictionnalisation du réel a donc été rendue possible, précise-t-il, grâce au temps passé avec les personnages. »

 

 

Une madone fellinienne

Sur le plan formel, c’est aussi un film très esthétique comme si Michele Pennetta s’employait à donner de la beauté à des paysages sordides ou arides, et à des situations particulièrement tristes voire désespérées, déjà par la grâce du directeur de la photo dont nous avons déjà parlé, mais aussi par l’utilisation judicieuse des décors, des acteurs non professionnels et des couleurs, celle de la terre, des objets du quotidien, et des vêtements misérables magnifiés par l’utilisation des formes et des matières. On se souviendra longtemps de cette scène fellinienne où Oscar qui se trouve en contrebas découvre parmi tous les détritus une statue de la vierge que son père, au-dessus de lui va hisser jusque sur le pont. C’est peu de choses, et c’est toute la merveille du monde qui reprend vie grâce à la poésie qui se niche souvent où on ne l’attend pas. On pourrait dire la même chose de la scène de la baignade à la mer de Stanley et de son ami qui semblent se ressourcer dans ce moment de grâce qui leur fait à la fois oublier leur condition de migrants, mais aussi la revivre pour se confier sur leur vie d’avant et leur souvenir. Le courage de ces hommes qui ont tout perdu et ne retrouveront quelquefois plus rien trouve son incarnation véritable dans ces quelques images qui nous montrent Stanley dans ses tâches culinaires ou dans la manière appliquée dont il lave le sol de l’église. Il y a dans tous les gestes de ces pauvres gens, qu’il s’agisse des migrants ou des autochtones, une manière de divinité qui fait parfois penser au cinéma de Pier Paolo Pasolini pour qui « tout est saint ».

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