Guantanamera

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Une comédie à la cubaine…

Un road movie musical

La figure de proue du cinéma cubain, Tomás Gutiérrez Alea, réalisateur du film culte Fraise et chocolat (1993), mourra en 1996, juste après la réalisation de son dernier film, Guantanamera, exploité en 1995, et qui ressort cette année pour notre plus grand bonheur. Accompagné de la célèbre chanson éponyme, le scénario de Tomás Gutiérrez Alea et ses deux autres coscénaristes (Eliseo Alberto Diego et Juan Carlos Tabío), règle ses comptes avec la politique cubaine, dont il fut pourtant longtemps le chantre. Il nous livre ici, avec l’aide de la production espagnole et de Juan Carlos Tabío, réalisateur cubain qui participa au tournage de Fraise et chocolat, un road movie basé sur le comique de situation et l’exploitation de l’absurde comme ressort de la comédie. Tandis que les protagonistes se déplacent en petit convoi funéraire pour enterrer tante Yoyito, célèbre artiste revenue à Cuba pour y retrouver sa nièce et y mourir inopinément en retrouvant le grand amour de sa vie, la célèbre chanson avec des paroles adaptées à la situation se déroule pour accompagner le film. Cette bande-son n’est bien sûr pas anodine, puisqu’il s’agit de la chanson emblématique de Cuba, maintes fois reprises dans le monde entier et par les plus grands interprètes tels que Pete Seeger qui la popularisa aux États-Unis et dans le monde entier, mais aussi Joan Baez, Julio Iglesias, Luciano Pavarotti, Joe Dassin, Nana Mouskouri ou encore les Fugees. Qui ne connaît pas Guantanamera, chanson de la ville de Guantanamo qui, bien après deviendra tristement célèbre en raison de sa base militaire américaine où l’on emprisonne les terroristes ? Il s’agit d’une « guajira-son » (chanson populaire traditionnelle), aujourd’hui très répandue, adaptée dans quasiment toutes les langues. Cette chanson serait née à Guantánamo alors qu’un groupe de musiciens anime une fête d’anniversaire. Le chanteur adresse un compliment à une jeune fille dans la rue et celle-ci lui répond vertement.

 

L’humour et l’amour pour survivre

Comme dans les meilleures comédies à l’italienne, les réalisateurs ont choisi de parler de choses graves : l’amour, la mort, la dictature, l’absurdité d’un modèle politique poussé à ses extrémités, en utilisant une comédie tendre et hilarante qui met en scène des personnages comme issus de la commedia dell’arte : la jeune femme malheureuse en amour, le bellâtre qui fait fondre tous les cœurs, le vieillard sentimental, la vieille dame indigne et, surtout, le bureaucrate borné en ordonnateur des pompes funèbres ce qui est une belle métaphore sur l’état de la société cubaine. Il faut dire que dans les années 1990, Cuba connaît une grave crise qui finit de discréditer le Lider Maximo aux yeux du monde dit libre. La libre circulation des devises dépénalisée depuis 1993, le marché noir, l’inflation, le sous-approvisionnement alimentaire, les pénuries de pétrole et d’électricité et les exodes massifs de Cubains prêts à tous les risques pour quitter le navire qui prend l’eau, ont conduit le gouvernement à prendre un certain nombre de mesures notamment économiques, sans délaisser les priorités que constituent l’éducation et la santé publique. L’effondrement de l’URSS a renforcé la pénurie de combustible engendrée par l’embargo américain.

 

 

Un triste constat politique

Quarante ans après le triomphe de la révolution castriste, le film s’amuse à montrer et à railler la gabegie, l’incompétence, le machisme, l’économie parallèle et les absurdités en tout genre abordés avec humour par l’auteur de La Mort d’un bureaucrate (1966), au titre déjà prophétique. Sous ses dehors de road movie comique et tendre, Guantanamera est un film profond qui devrait pouvoir intéresser aussi les lycéens et les étudiants désireux de comprendre le système cubain et sa « pérennité ». Le film sort d’ailleurs accompagné d’un livret pédagogique à l’usage des scolaires. « Au fond, ce film est un documentaire, déclare Tomás Gutiérrez Alea. Nous ne faisons que constater que la réalité se comporte de façon absurde. On peut résumer cette idée par une phrase de Virgilio Piñera : « Si Kafka était né à Cuba, au lieu d’avoir été un écrivain de l’absurde, il aurait été un écrivain moraliste». Toutes ces situations kafkaïennes qui se déroulent dans le film sont vraies, même si ça semble étrange. »

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Durée : 95 mn


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