Comme Pascal, Vincent Dieutre a voulu gager. Gager que l’on peut prendre le jansénisme comme prétexte pour peindre son nombril. Difficile de comprendre que l’on nous parle de Port-Royal quand la vue est bouchée. Ma vie, mon œuvre, moi, moi, moi ! Le réalisateur est le film. La critique n’en peut donc être autrement, c’est le risque. Vincent se balade en campagne, Vincent lit très bien l’ancien français et Vincent prend la place de l’intervenant principal pour vite devenir, à son tour, l’interviewé !
Tout se trouve déjà dans la scène d’ouverture : Vincent Dieutre et son scénariste arpentent un cimetière, lampes torches à la main, visages investis et postures inspirées, à la recherche d’une tombe. Ci-gît le jansénisme et Fragments sur la grâce… sous peu. L’introduction dit la démarche fictionnalisante et l’exposition du réalisateur lui-même. Faire revivre une époque charnière par la lecture de textes majeurs en ancien français aurait pu être intéressant si cela n’avait pas été si grotesque et scénarisé. La table autour de laquelle se retrouvent les comédiens conteurs s’apparente à celle de la Cène et l’on comprend vite qui en est le personnage central et donc qui en est le Christ symbolique.
Le réalisateur cherche à renouveler le genre et à faire un film documentaire d’auteur aussi discrètement qu’une baleine dans un aquarium de salon. Pour cela, on exhibe tout le matériel de tournage : micros, caméras numériques et l’on multiplie les contre-champs. Ensuite, on insère une voix-off enregistrée au dictaphone pour donner des allants profonds, pénétrants et mystiques à un soliloque boiteux. Il s’agit pour le réalisateur de percer le mystère de Port-Royal en en cherchant lui-même l’absconse grâce. Dès lors nous sommes sous le feu des expérimentations : auto-scarification, rêveries du promeneur solitaire (ou pas), prière à genoux du scénariste avec ses enfants. Mais où sommes nous ?
La plupart des plans de rue, censés contourner, à priori, la règle selon laquelle tout film documentaire classique serait trop illustratif sont tout simplement laids. Leur inutilité est d’autant plus forte que leur valeur esthétique est faible (la vidéo à son plus bas niveau). De même que la pertinence de certains éclairages : il n’y a qu’à voir le contre-jour accusé de l’entretien « fil rouge » plongeant les deux hommes dans une obscurité qui surenchérit artificiellement sur la dimension d’étrangeté du jansénisme.
L’épilogue sans fin suit une gradation dans l’hubris. Vincent n’est plus seulement à la recherche de la grâce, il s’érige en figure christique. Il se couche bras en croix sur le bitume et écarte le flot de voitures. La lecture autour de la table prend des accents de reconstitution de rituels sectaires : il endort ses disciples avant de les ramener à la vie. Délectation autour des anecdotes scatologiques concernant les sœurs convulsionnaires. Saturation de la voix-off. Paf ! La montgolfière Vincent Dieutre a éclaté. Beaucoup de bruit pour rien. Fin.