Fermeture des cinémas : interview de Nicolas Rihet, distributeur indépendant.

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La réouverture des salles repoussée sine-die , Nicolas Rihet, directeur général D’Alba Films, livre ses sentiments sur une situation culturelle pour le moins préoccupante.

Tous les spectateurs qui ont le plaisir de découvrir les films en salle ne connaissent pas forcement le rôle d’un distributeur de cinéma, pouvez-vous nous le présenter en quelques mots ?

C’est le maillon indispensable entre le film qui a été tourné et la salle de cinéma. Il va générer l’envie, le désir chez le spectateur. Le distributeur va créer les bandes annonces, les affiches publicitaires. Il va choisir les salles de cinéma, la date de sortie… Il va travailler avec un ensemble de sociétés. Le cinéma est une industrie de prototypes dans laquelle on invente en permanence, en fonction des projets, parfois on parvient au succès, parfois non. Le travail est colossal pour que le film existe en salle.

Depuis le mois de mars, les salles ont connu des phases de fermeture, de réouverture partielle, d’expectative, engendrant de multiples préjudices sur l’ensemble du secteur. Quel  état des lieux pouvez-vous dresser aujourd’hui ?

La décision prise par le gouvernement de ne pas rouvrir les cinémas est tombée comme un couperet. D’autant plus que fin octobre, avant le confinement, la fréquentation des salles connaissait une amélioration notable. Le public commençait à revenir, ça se voyait. Notre société, Alba film a été fauchée en plein vol, nous venions de sortir notre plus gros projet, un film d’animation pour toute la famille, 100 % loup. Un véritable succès, avec 60 000 entrés en deux jours le film était classé premier devant le denier Maïwenn. Un bonheur pour une société comme la nôtre qui n’a que deux ans d’existence. Le drame est qu’on venait d’investir dans un film, comme nos camarades et nous sommes privés d’exploitation. À partir de là on a travaillé avec les pouvoirs publics pour rouvrir le 15 décembre, et à aucun moment ils ne nous ont alertés sur une possible non réouverture. L’impact concerne toute une profession, attachés de presse, exploitants, des sociétés de communication, des salariés qui les font fonctionner. L’argent des entrées en salle est ensuite réinvesti dans un nouveau film. Le cinéma est un circuit économique vertueux, qui s’autofinance pour sa plus grande partie. Il se trouve à présent en danger.

Aujourd’hui, c’est une Bérézina totale, il y a des entreprises qui ont fermé. Nous vivons sur nos réserves financières qui  vont bientôt ne plus suffire. On est tous solidaires dans la profession, et nous sommes en colère contre la manière dont les décisions ont été prises par le gouvernement. Au lieu de nous prévenir d’une non réouverture, on nous a encouragé à travailler pour préparer la sortie de nos films. On aurait compris l’intérêt sanitaire d’une fermeture prolongée si on avait été informé. Le monde du cinéma n’est pas en dehors du monde, on ne demande pas à être privilégié, mais à être respecté. Là, on se doute que la date du 7 janvier ne sera pas celle d’une reprise. Il faut que le gouvernement comprenne qu’il ne suffit pas d’appuyer sur un interrupteur pour que tout reprenne, il y a du travail en amont, des semaines, voire des mois pour s’organiser.

Le cœur de votre métier repose en grande partie sur l’anticipation et l’organisation. Comment arrivez-vous à vous projeter dans un environnement devenu si incertain ? 

Le travail peut s’organiser jusqu’à un avant la sortie du film. La crise sanitaire nous oblige à nous adapter, à revoir nos calendriers. Certains de mes collègues ont dû changer trois fois dates de sortie, avec des dépenses à chaque fois. Vous avez l’impression d’épuiser votre film. Sera-il toujours désiré par le public  lors de sa sortie ? On peut dire que  certains films ne connaîtront même jamais les écrans.

Les distributeurs indépendants comme Alba Films sont-ils plus fragilisés que ceux qui sont rattachés à d’autres entités du secteur?

Tous les distributeurs sont impactés. Je ne vais pas renter dans une comparaison systématique. Mais les plus petits, les indépendants, sont plus fragilisés. On  résiste à un ou deux coups de boutoir, et après… Le CNC nous avait promis des aides, à ce jour rien n’est parvenu. De plus, on ne rentre pas toujours dans les cases  fixées par cet organisme, notamment pour la distribution de films étrangers. Alba distribue des films français, mais aussi des productions étrangères.  C’est possible que cela se fasse par la suite, mais pour le moment rien n’est mis en place.

Avez-vous pu dialoguer avec des représentants du  gouvernement pour évoquer les difficultés de votre  profession ?

Nos représentants participent à des réunions avec madame Bachelot et monsieur Castex. Ils nous écoutent, du moins c’est l’impression qu’ils veulent donner, car en réalité comme je vous l’ai dit précédemment, les décisions ne sont pas communiquées avec transparence ni en temps voulu. Pour la dernière annonce du premier ministre, nous n’avons pas du tout été consultés . Encore pire, certains canaux ont laissé entendre que l’activité reprendrait. On a appris la décision par la presse comme le public. Maintenant, nous sommes défiants face aux discours des pouvoirs publics. Personnellement, je plaide pour que nous prenions notre destinée en main. Il faut que nous fixions une date de réouverture raisonnable pour la proposer, arguments en main, aux politiques. Avant début février, cela me semble très compromis de permettre le retour dans nos salles.

Les plateformes de streaming drainent déjà un nombre considérable de spectateurs grâce aux séries, elles sont également à l’origine de longs métrages, avec le confinement certains films prévus en salle y ont trouvé un moyen de toucher leur public. Craignez-vous que ce mouvement s’amplifie dans un futur proche ? Quelles réponses faut-il apporter ?

Je comprends tout à fait les distributeurs qui, à contrecœur, se sont tournés vers les plateformes de streaming pour que le film trouve son public. Avec Alba, nous avons réussi à ne pas le faire jusqu’à présent. Je ne peux pas dire que nous ne le ferons jamais, notamment s’il faut sauver notre société. Quant au fait le cinéma en salle soit mis à mort par le streaming, je n’y crois pas. Quand j’ai commencé ce métier, et même bien avant, certains prédisaient la fin du cinéma sous sa forme la plus traditionnelle. Mais le cinéma a toujours su résister. Car l’attachement des français au cinéma est ancien et fondamental. Bien sûr, il faudra un travail de très longue haleine pour revenir aux bons chiffres d’avant la crise. Il va falloir communiquer, redonner envie. Le plaisir d’aller en salle, en famille, entre amis, reviendra, j’en suis persuadé. J’ai profondément espoir, quand la « vie normale » aura repris son cours, tout repartira.

 

Je tiens à remercier Sophie Bataille, l’attachée de presse qui a organisé cet interview.

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