Fantôme utile

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« Pour son premier film, Ratchapoom Boonbunchachoke choisir de revisiter les traditions de son pays en y apportant un humour teinté de cruauté et d’absurdité dans un monde où le fantastique s’est inscrit dans le quotidien. »

« Dans la langue japonaise, le verbe le plus important au sujet du vivant est le verbe « devenir » : une pomme devient un pommier, un enfant devient un adulte. Les japonais pensent que chaque chose dans la Nature apparaît dans ce monde avec une âme : c’est ainsi que l’animisme a vu le jour ». Cette citation de l’écrivain Natsuki Ikezawa, tirée du documentaire Miyazaki, l’esprit de la nature, semble parfaitement s’adapter au premier long-métrage du thaïlandais Ratchapoom Boonbunchachoke. Dans Fantôme utile, le réalisateur revisite avec originalité et décalage le mythe de la réincarnation pour l’inscrire dans une société où désormais, les phénomènes surnaturels de ce genre font partie de la
réalité du quotidien. Après la mort de son épouse, March (Witsarut Himmarat) retrouve cette dernière… réincarnée dans un aspirateur. C’est pour lui le début d’une aventure qui l’amènera à reconsidérer son existence avec une femme qui oscille entre le monde des humains et des esprits.

L’originalité du film repose sur sa volonté de démystifier les grands mythes asiatiques, à commencer par la figure du fantôme : les croyances thaïlandaises lui accordent une place importante de par son omniprésence, malgré son invisibilité, une caractéristique que Boonbunchachoke ne cesse de tourner en dérision tout le long du film. Ici, les fantômes s’inscrivent dans un phénomène de normalité qui les rend similaires en tout point aux vivants, à tel point qu’il est aisé de les confondre. Cependant, seulement eux ont la capacité de prendre le contrôle d’objets divers, ce qui offre à l’intrigue une dimension comique inattendue puisque les esprits deviennent tour à tour des pièces de fabrications d’aspirateur, des chaises ou encore des réfrigérateurs. La scène d’ouverture permet elle aussi de ramener l’histoire du pays à ce qu’elle est réellement, les sculptures glorifiant le passé étant remplacées par des figurants déguisés prenant la pose : une astucieuse façon de rappeler qu’il ne peut y avoir d’esprits sans êtres vivants.

Un autre thème au cœur du film est l’existence partagée entre deux mondes, les fantômes étant en constante interaction avec les vivants. Contrairement à un film comme Les Noces Rebelles, où Tim Burton fait du pays des morts un lieu de couleur et de musique pour contraster avec l’environnement grisâtre et terne du monde « d’en haut », Fantôme Utile joue avec nos perceptions et nous fait douter du sort des personnages. C’est le cas avec le réparateur d’aspirateur qui apparaît au début du film pour raconter l’histoire comme un narrateur : plus l’intrigue progresse, plus le spectateur doute de sa vraie nature. Cette « indescriptibilité » renvoie davantage au long-métrage de Alejandro Amenábar Les Autres, où Nicole Kidman tente de démêler le rationnel du surnaturel sur une île de Jersey baignée dans le brouillard. Car si la culture occidentale a tendance à associer les fantômes et les esprits à un décor spécifique proche du gothique, Boonbunchachoke fait évoluer les siens comme s’ils faisaient partie de ce monde, de cette société qui réduit tout phénomène, même surnaturel, à un simple détail de l’existence. Ainsi, de par leur apparence, ces fantômes ne suscitent pas la peur. Il faut attendre les dernières minutes du film pour qu’ils dévoilent leur potentiel terrifiant au cours d’une séquence d’épouvante endiablée, presque jouissive grâce à l’utilisation du morceau The Tragedy in the Style of Minimalism. Le massacre qui en résulte apparaît comme la vengeance des disparus envers ceux qui sont responsables de leur mort, comme si les vivants payaient pour leurs pêchés en devenant à leur tour des esprits.

Pour son premier film, Ratchapoom Boonbunchachoke choisir de revisiter les traditions de son pays en y apportant un humour teinté de cruauté et d’absurdité dans un monde où le fantastique s’est inscrit dans le quotidien, mais il offre aussi une réflexion intéressante sur la place des disparus et leur impact sur la vie de leurs proches. On peut rire, pleurer ou même avoir peur : c’est au choix.

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