Fahrenheit 451

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Une dystopie glaçante qui n’a pas pris une ride.

« Il doit y avoir quelque chose dans les livres, des choses que nous ne pouvons pas imaginer, pour amener une femme à rester dans une maison en flammes oui, il doit y avoir quelque chose. »

Adapté de l’œuvre éponyme de Ray Bradbury, Fahrenheit 451 est l’unique long métrage anglais d’un des pionniers de la Nouvelle Vague : François Truffaut. Éprouvant un désintérêt total pour la science-fiction comme il le dira lui-même, il se passionne pourtant pour le principe du roman : un monde dans lequel il serait devenu interdit de lire. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, dans ce monde dystopique les écrans ont remplacés les livres et les pompiers ont oubliés qu’il fut un temps où ils éteignaient les feux au lieu de les allumer. Fahrenheit 451 dépeint en 1966 avec une justesse remarquable un monde futuriste finalement pas si éloigné de notre présent.

Si l’on ne veut pas que les gens soient malheureux, il ne faut pas leur offrir deux réponses pour une question …

Dans le monde parfait de cette ville sans nom, le bonheur semble passer par l’absence de sentiments. Personne n’est en colère, personne n’est triste, personne ne tombe amoureux. À première vue le peuple ne s’en plaint pas, anesthésié qu’il est à coups de programmes de télévision abrutissants et de pilules miracles pour tout gérer : angoisse, insomnie, fatigue ? Une couleur par tracas et le tour est joué. Si l’uniformité des maisons et de la population nous saute aux yeux, il n’en est rien pour les habitants formatés jusqu’à l’os par ce qu’on suppose être des années d’embrigadements. Entre la sortie difficile des atrocités de la Seconde Guerre Mondiale et l’entrée dans la Guerre Froide, ToutEstMerveilleux-land s’impose au spectateur comme un rappel douloureux du contrôle que peuvent exercer les puissants. Une grande partie du métrage ressemble d’ailleurs à de la propagande : le contrôle permanent des habitants allant du divertissement acceptable jusqu’à la coupe de cheveux sous prétexte de savoir ce qui les rendra heureux. L’embrigadement se fait dès l’école puis à l’aide d’émission de télévision valorisant chaque citoyen avec une dépersonnalisation pourtant ahurissante en le faisant rentrer dans « La famille ». Tout est calqué sur le fonctionnement d’un « Nous » supérieur, d’une société égalitaire qui serait la clef du bonheur et qui ne va pas sans rappeler la doctrine communiste de l’URSS et de la République Démocratique de Chine à cette période.

 

… Mais seulement une …

Linda (Julie Christie) est perpétuellement lasse, lobotomisée par les cachets et le martèlement d’émissions de télévision, alors que son mari Montag (Oskar Werner), est incapable de trouver le ton juste et en fait toujours trop. Le métro futuriste a quant à lui des allures presque comiques de ruines servies par une lenteur d’exécution à total contre-courant de la facilité de fonctionnement du reste. Fahrenheit 451 baigne dans ce curieux mélange d’oppositions cohabitant ensemble. Même la musique, composée par Bernard Herrmann – compositeur ayant notamment travaillé avec Alfred Hitchcock ; est en totale opposition avec les musiques futuristes qu’on lie habituellement aux films de science-fiction. À la demande de Truffaut pas de sons futuristes, métalliques, Hermann a composé des musiques angoissantes tenant en haleine à la manière d’un thriller. Durant les deux heures que dure le film on a de cesse de se sentir en décalage, d’avoir cette étrange impression que quelque chose ne colle pas et d’espérer que la résolution finale nous apportera la réponse, malheureusement il n’en est rien.

Fahrenheit 451 est un film de science-fiction qui se renie, plongeant ainsi le spectateur dans une fable onirique inquiétante où rien n’est réellement à sa place. François Truffaut voulant à tout prix s’éloigner de la SF alors en plein un boom grâce au cinéma hollywoodien, il s’est employé à retirer tout élément s’en rapprochant dans son adaptation, tout en trouvant des parades pour respecter la trame essentielle du roman et ne pas perdre ce côté inquiétant accrocheur. Terminé par exemple le robot qui poursuit Montag dans l’œuvre originale, le réalisateur lui préfère le regard suspicieux permanent de son collègue pompier Fabian (Anton Driffing). Si les distributeurs annoncent un film de science-fiction dès les premières secondes de la bande-annonce cela n’en augmente que le décalage avec l’œuvre finale. L’incompatibilité dût en grande partie au fruit de la projection des attentes du spectateur.

 

 

… Mieux encore : aucune.

Si François Truffaut à expliqué que les livres apparaissant clairement à l’écran n’étaient en grande partie absolument pas un choix de sa part, il n’en reste pas moins que les livres sélectionnés se rapportent tous de près ou de loin à une certaine vision de la culture. Entre Lolita de l’écrivain russe Nabokov, les livres de philosophie d’Aristote et de Platon ou encore les grands auteurs britanniques comme Charles Dickens, transparaît la conception d’une définition de la culture propre à une certaine élite. Dans le métrage point de bandes dessinées, celles-ci servant, bulles de textes en moins, de divertissement à la population. Les livres sont le symbole d’une culture salvatrice, Montag avouant même lors d’une dispute avec sa femme qu’ils sont sa famille au même titre que la télévision l’est pour elle.

Outre une ode à la lecture et aux sentiments qu’elle amène, dans Fahrenheit 451 les livres sont érigés au rang d’êtres humains. Les titres devenant patronymes et la couverture, ossature. On ne compte plus les plans fixes sur les pages se recroquevillant presque à la manière d’un corps sous les flammes. Les craquements s’apparentant à des cris déchirants de douleur alors que nous restons impuissants devant le désastre qui se joue sous nos yeux. Si les livres étaient des Hommes, alors il serait aisé de considérer ces autodafés comme un génocide. Et si les dialogues brillent par leur manque d’intérêt, se contentant bien souvent de refléter le quotidien monotone des personnages, on ne manque pas de remarquer les nombreuses citations utilisées tout au long du métrage jusqu’au point d’orgue final qu’est cet endroit, en périphérie de la ville-dictature, dans lequel chaque personne est devenue livre, psalmodiant l’œuvre choisie comme un moyen désespéré de la faire rester en vie.

 

 

Le long-métrage de Truffaut aux airs de coups de canif dans le mouvement Nouvelle Vague, brille non seulement par son propos et son esthétisme mais aussi un peu cocassement par les imprévus de tournage qui en firent une pièce unique. Si Oskar Werner et François Truffaut s’étaient entendus et que le premier ait respecté les directions du second, alors peut-être que cette impression de décalage permanent de Montag avec l’ensemble de son entourage n’aurait pas été aussi notable, retirant grandement au charme bancal du film. Fahrenheit 541 est une surprise en tout point, parce qu’il vieillit étonnamment bien – si on omet la scène de poursuite dans les airs par les pompiers dont les effets ne trompent personne cinquante ans plus tard ; autant par un propos qui raisonne avec force dans une société dominée par les écrans en recherche frénétique de divertissement à laquelle nous appartenons, que par cet esthétisme visuel kitsch au possible qui en fait un régal pour celles et ceux qui apprécient le charme décalé entre l’image et le propos.

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Durée : 102 mn


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