Étranges vacances (I’ll Be Seeing You – William Dieterle, 1944)

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Ginger Rogers et Joseph Cotten se serrent l’un contre l’autre jusqu’à ce que la guerre les oublie.

Un soldat psychologiquement instable, Zachary Morgan (Joseph Cotten), est en permission. Une jeune femme, Mary Marshall (Ginger Rogers), condamnée à six ans de prison, est libérée pendant une semaine pour bonne conduite. Nous sommes quelques jours avant Noël et ces deux personnages vont se rencontrer avant de descendre d’un train et ne plus se quitter. Difficile de dire si la Deuxième Guerre mondiale est terminée ou si elle est sur le point de l’être. Étranges vacances n’en parle qu’assez peu et le conflit ne semble exister que comme idée ; comme abstraction.

Ce qui surprend dans un premier temps dans le film de William Dieterle, ce sont les méthodes de représentation du traumatisme de la guerre. Que ce soit au travers de la direction d’acteurs et du jeu de Joseph Cotten ou bien dans la mise en scène même, les images, étonnament modernes, renvoient à d’autres, plus proches de nous. Les migraines, les crises et la tension qui habitent Zachary s’emparent de lui comme elles s’emparaient cette année de Benicio del Toro dans le dernier film d’Arnaud Desplechin (Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des plaines, 2013). Ce que l’on demande aux deux acteurs – incarner et intérioriser physiquement les ravages de la guerre – est en effet assez semblable et trahit une même démarche : donner la parole à celui dont on a peur d’entendre l’histoire. Même si William Dieterle n’évite pas à plusieurs reprises une dialectique quelque peu lourde – lorsque Zachary se retrouve seul, il se parle à lui-même en voix off, comme si le cinéaste ne savait que faire d’une image nue -, l’écriture du personnage de Joseph Cotten et son interprétation dessinent intelligemment le discours général du film. William Dieterle ne condamne pas la guerre ni ne verse dans le patriotisme mais fait vivre ce soldat américain de retour dans son pays comme il fait vivre les hommes et les femmes autour. Le plus beau geste du cinéaste n’est pas de bâtir coûte que coûte une empathie autour de Zachary mais de le regarder comme n’importe quel autre personnage de cinéma et de lui donner autant de vie qu’il le peut. Ainsi, bien avant Apocalypse Now (Francis Ford Coppola, 1979), alors qu’à l’intérieur de sa chambre d’hôtel un ventilateur se transforme en hélice d’hélicoptère, dehors une histoire d’amour l’attend.

Ce qui intéresse le cinéaste, ce qui paraît être la seule solution pour sauver ses deux personnages, est de raconter une toute petite histoire. La guerre est désormais loin, tout comme ce qui a amené Mary en prison, et ce qui compte sont leurs premiers regards amoureux ; leurs premiers moments seuls. La pudeur avec laquelle William Dieterle les filme ne brise jamais l’intimité qu’ils ont réussi à construire dès leur première rencontre. La distance qu’il met entre lui et eux est la même qui le sépare d’une guerre n’apparaissant dans le récit que comme prétexte. Du coin de l’œil, William Dieterle les regarde comme un grand timide. Foncièrement romantique, Étranges vacances évite pourtant tous les écueils sentimentalistes pour suivre avec autant de sincérité qu’il le peut ses deux personnages. Aussi absurde que soit la rencontre entre Zachary et Mary, à aucun moment il ne semble possible de douter de leur amour. Pour les protéger, William Dieterle, plus encore que d’encadrer leur histoire dans le temps – ils ont une semaine avant que la jeune femme ne retourne en prison -, les enferme dans un lieu. La maison de l’oncle et de la tante de Mary où elle devait séjourner devient petit à petit la plus grande partie de leur univers et il manque un rien pour que le film entier ne se transforme en huis clos. Sans pathos et sans moquerie, le home front prend forme. Cachée derrière les quatre murs d’une maison pourtant semblable aux autres, une jeune femme attend son soldat. Dans ses bras, il reprendra vie. Contre lui, elle commencera la sienne. 

Titre original : I'll Be Seeing You

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Durée : 85 mn


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