De la musique avant toute chose…
Emmanuel Courcol, acteur, scénariste et enfin réalisateur pour trois longs-métrages précédents (Boxer les mots en 2022, Un triomphe en 2021 et Cessez-le-feu en 2016) nous offre maintenant sans doute l’un des plus beaux films de l’année 2024. En fanfare est en effet un film émouvant et important, triste et gai à la fois, qui n’utilise pas en vain le pathos et la situation sociale et économique du Nord de la France. Et puis, il s’agit d’un réel hommage à la musique où le réalisateur s’y montre déjà tel un véritable chef d’orchestre lui-même, choisissant avec sa coscénariste, Irène Muscari, des acteurs connaissant la musique et des figurants ou des acteurs non-professionnels eux-mêmes musiciens classiques ou de fanfares. Et puis, il y a cette découverte formidable, à Lallaing près de Douai, la fanfare de Walincourt formidable d’humanité et de talent qui donne toute son âme à ce film sublime. Tourné presque exclusivement dans le Nord (sinistré) de la France, avec ses bâtiments de brique sévères, l’ambiance évoque par certains côtés le cinéma de Ken Loach ou de Stephen Frears, d’autant que le scénario y a intégré, outre les problèmes liés à la maladie, les drames du chômage et des fermetures d’usine, mais sans en surajouter dans le pathos et la tragédie. Et ce n’est pas étonnant que le sujet ait su séduire Robert Guédiguian qui, avec Marc Bordure, a produit le film pour Agat Films.
Un mélange de styles réussi
Emmanuel Courcol s’exprime parfaitement à ce sujet dans le dossier de presse du film : « On a par exemple été vigilant à ne pas se laisser entraîner dans un film sur la maladie. Ici, c’est un déclencheur qu’on oublie assez vite pour laisser la place à la relation entre les deux frères. Même chose sur le volet social lié à l’usine. C’est une réalité économique que nous souhaitions évoquer, mais sans s’embarquer dans un tout autre film. Car ici, le sujet est avant tout la rencontre musicale et fraternelle de deux mondes. A contrario, je me méfie du fameux « feel good movie », trop guimauve. » Quant au choix des acteurs, il est bien sûr capital et le réalisateur, aidé de la directrice de casting, Emmanuelle Prévost, et le directeur de la photographie, Maxence Lemonnier, est parvenu à trouver un ensemble de comédiens qui travaillent à l’unisson pour révéler la puissance rédemptrice et salvatrice de la musique qu’elle soit considérée comme « noble » par les élites, ou « populaire » par les snobs. Pour Emmanuel Courcol, il s’agit dans ce film, dont nous ne dévoilerons pas l’intrigue sauf pour dire qu’il s’agit de filiation, de réconciliation et de lutte des classes, de montrer la puissance de la musique quelle qu’elle soit d’où le contraste entre un Maestro de renommée mondiale et une petite fanfare de province oubliée et saccagée par les élites. « On aborde des registres musicaux très différents, mais j’ai essayé de rester conforme à mes goûts tout en proposant un paysage musical varié. Que ce soit le classique que dirige Thibaut et que Jimmy découvre à travers lui, ou le jazz que les deux frères partagent, ou des partitions plus inattendues comme la chanson d’Aznavour… J’écoute beaucoup de musique, Irène est aussi très mélomane. On s’est quand même fait aider par le compositeur Michel Petrossian. »
Des acteurs excellents et musiciens
Les acteurs sélectionnés y sont parfaits, et musiciens ce qui ne gâche rien. L’excellentissime Pierre Lottin, ça allait de soi car il est déjà acteur dans Un triomphe et qu’il est excellent pianiste et qu’il a suivi un stage de trombone avec le succès que l’on voit à l’écran. Son frère aîné, interprété par le génial, tout en réserve et finesse, Benjamin Lavernhe, batteur et très bon guitariste, en plus de son talent de comédien, a dû apprendre la direction d’orchestre jusqu’à en être félicité par un des musiciens qui, dixit, en a connu de bien moins bons. Sarah Suco, qui interprète le rôle de la muse Sabrina, est accordéoniste et a également suivi des cours de trompette avec Estelle et se débrouille suffisamment avec l’instrument pour pouvoir suivre le rythme de la fanfare. Voici pour les trois acteurs principaux, mais il en va de même pour les acteurs secondaires qui, tous, s’adonnent avec passion à la musique, comme cette vraie fanfare que l’on voit tout du long et qui, au départ, était très intimidée avec, à l’intérieur, le grand comédien Jacques Bonnaffé, lui-même instrumentiste, et ça se voit comme chez tous les autres. Un très grand film, qu’on ne serait pas étonné de voir aux Césars ! « Si le film touche comme je l’espère, c’est grâce à l’émotion et à l’humanité de personnages dans lesquels on se retrouve, déclare Emmanuel Courcol. C’est de voir des gens généreux dans l’action malgré la cruauté de la vie, des gens qui essayent de faire leur place en portant des grosses valises. C’est cela qui fait du bien. Cet équilibre se joue à l’écriture, à l’interprétation et au montage (dû à Guerric Catala, NDLR). »