En avant, jeunesse (Juventude em marcha)

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Longtemps repoussée, voici enfin la sortie sur nos écrans du film de Pedro Costa. Mais en réalité, on ne s’étonne pas beaucoup qu’il ait eu du mal à trouver un distributeur…

Quelque part dans un bidonville de la banlieue de Lisbonne. L’horizon et le ciel semblent bouchés. Il n’y a pas d’échappatoire à cet univers glauque et sordide. Les personnages paraissent emmurés dans leur propre misère, traînant leur ombre comme un fardeau. Ils ne tentent pas de fuir leur condition, mais simplement de l’oublier, tant bien que mal, par le mutisme ou l’exubérance, au choix, question de caractère. Chose extraordinaire, seuls deux plans font apparaître à l’écran plus de deux personnages. Il s’agit les deux fois des mêmes protagonistes : Ventura et deux de ses enfants.

Ventura, ancien maçon d’origine capverdienne, est un exilé du bonheur. Plus rien ne pourra plus le réhabiliter. Sa femme Clotilde l’a quitté, l’abandonnant à son triste quotidien. Son regard porte un questionnement permanent que l’on ne parvient pas à cerner réellement : regret ? Déception ? Crainte de l’avenir ? Peur du silence ?

Le silence, solitude quotidienne dont l’on ne peut s’extraire, planant comme une fatalité briseuse de rêves et d’espérance. Cruel miroir d’une réalité vide de sens. Poids existentiel qu’il faut tenter d’alléger par des mots et des questions qui n’appellent pas vraiment de réponse, mais qu’importe : la parole a la faculté de rompre concrètement ce mal qui vous ronge à petit feu, comme une petite mort. Dialogues de sourds qui se muent en dialogues intérieurs, discussions à sens unique qui prennent des allures de monologues. Ventura entend mais n’écoute pas vraiment. Pourtant, il est là, et sa seule présence suffit à simuler une once de réciprocité dans les rapports humains.

La caméra suit les errances de Ventura entre les bas-fonds de la banlieue, la nouvelle cité et le musée. Ce sont les mêmes endroits qui reviennent avec insistance, se répètent, se croisent, se juxtaposent. Les plans sont figés, les personnages entrent puis sortent du cadre avec douleur, comme pour nous montrer la prégnance d’un état de misère. Car les hommes passent, mais les lieux, eux, restent. Il y a bien cette HLM moderne tout juste achevée, destinée à reloger les habitants du bidonville. Sa blancheur immaculée tranche avec les couleurs sinistres et livides du taudis. Quand il se rend pour la première fois sur les lieux, Ventura y est filmé assis, en contre-plongée. Sa silhouette se noie dans l’immensité effrayante de l’immeuble. Ici plus que tout ailleurs, il est ramené à sa condition de néant, de grain de poussière. Il doit ensuite faire face à son appartement désespérément vide, qu’il doit aménager comme on remplit une vie. La modernité n’offre pas plus de perspective d’avenir que l’insalubrité. Elle n’est pas plus chaleureuse, pas moins silencieuse. Elle glace par sa froideur.

Voici donc le monde proposé par Pedro Costa tel qu’on pourra le percevoir. La grande qualité d’En avant, jeunesse (Juventude em marcha) est de ne rien imposer, de simplement s’offrir à notre ressenti. Ventura, personnage mystérieux voguant entre le héros torturé et romantique, peut susciter la sympathie, la pitié, mais aussi l’indifférence. Les protagonistes, lors de leurs dialogues, semblent non pas s’adresser à leur interlocuteur, mais bien au spectateur. Le cinéaste instaure ainsi une forme de communication par le langage filmique très éprouvante.

En avant, jeunesse un est film excessivement difficile d’accès, trop en fait. Il requiert une implication totale de notre part. D’autant plus que Pedro Costa joue sur le mystère et le cultive. Notre ressenti peut se heurter à quelques rares indices. Par exemple, comment cerner le rapport dialectique entre la sensation de solitude des personnages et leur apparent sentiment d’appartenance à une communauté ? La solidarité semble exister, mais est-elle le champs sur lequel se noue de véritables relations interpersonnelles ? La parole est-elle salvatrice et bienfaitrice, ou ne constitue-t-elle qu’un vain réflexe de survie ?

Ces questions laissées en suspens ne sont pas forcément motifs de frustration, mais procèdent d’une distanciation complexe et extrême entre l’auteur et le spectateur. Finalement, nous aussi ne sommes capables que d’entendre sans vraiment comprendre. Le film et l’univers de Costa sont très particuliers mais pas vraiment novateurs dans leur principe. Ce « cinéma-théâtre-documentaire », avec sa caméra DV, ses moments de silence, de souffrance, son temps dilaté, ses acteurs non professionnels qui déclament plus qu’ils ne jouent, ses personnages qui disent tout et rien en même temps, peut fasciner, c’est certain. Sans devoir fasciner. Car si En avant Jeunesse ne tombe certes jamais dans le pathos, on pourra rapidement se lasser de ce cinéma lent, long, quelque peu misérabiliste et au final terriblement ennuyeux.

Titre original : Juventude em marcha

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Durée : 155 mn


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