DVD Quatre films majeurs d’Ingmar Bergman

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Les Editions Opening ressortent en DVD quatre films culte d´Ingmar Bergman : « Le Septième Sceau », « Les Fraises sauvages », « Cris et chuchotements » et « La Flûte enchantée ».

Ces quatre films réédités dans un nouveau master démontrent la richesse et l’hétéroclisme de l’immense carrière d’Ingmar Bergman, hantée par ses propres obsessions et démons.

« Pendant une grande partie de ma vie, j’ai considéré le cinéma comme le seul refuge au monde, le seul endroit où je me sentais bien. Un endroit où mes démons me laissaient en paix. » (1)

Quatre incontournables

Le visage de la mort n’a jamais autant imprégné les mémoires que depuis Le Septième Sceau. Cette silhouette filiforme toute de noire vêtue, au teint blafard qui, dès les premières minutes du film, vient chercher sa prochaine victime en la personne de Max Von Sidow, une autre silhouette inoubliable, visage émacié et cheveux à la blancheur immaculée. Une partie d’échecs entre le chevalier et la Mort ne repoussera que de quelques heures son issue fatale. Juste le temps de trouver des réponses aux questions métaphysiques que le chevalier ne cesse de se poser tout au long du film.

Des séquences du film ont marqué à jamais l’Histoire du cinéma : la procession des croyants, le bûcher de l’hérétique, la danse macabre ou encore la dernière visite de la Mort. Le film, sorti en 1957 est un pur chef-d’œuvre de mise en scène, de composition et de maîtrise de la lumière. Adapté d’une des pièces en un seul acte de Bergman, Peinture sur bois, il aborde des thèmes qui ne cesseront de hanter le réalisateur : la Mort, l’incertitude de l’existence de Dieu ou la question de jugement dernier. Mais il offre également des moments de « comédie » inoubliables, du moins de légèreté, par la présence d’une famille de saltimbanques rencontrée par le chevalier.

Suivant de près Le Septième Sceau, Les Fraises sauvages (1957) est sans doute le film le plus linéaire de Bergman. Sorte de road movie, on suit le trajet en voiture – qui s’avèrera en réalité être un parcours initiatique et moral -, d’un vieux médecin accompagné de sa bru, de Stockholm à Lund. Au contact de cette dernière et de différents personnages rencontrés en route, il prendra conscience, au crépuscule de sa vie, de l’être égoïste qu’il est et de l’échec de sa vie. Très psychanalytique, le film est jalonné de séquences oniriques magnifiques. Celles-ci bénéficient d’une lumière au diapason des émotions (on pense notamment à la surexposition du premier rêve mémorable des Fraises sauvages, avec son horloge sans aiguille et son convoi funèbre). La beauté du film repose également sur un moyen très simple : le personnage principal, incarné royalement par Viktor Sjöström, rejoue en rêve des scènes douloureuses de son enfance et de sa vie d’adulte mais tel qu’il est maintenant, vieux et terne. Pourtant, le film ne dégouline pas de sentiments malgré un happy end solaire et brille par sa justesse.

Cris et chuchotements
demeure l’un de chefs-d’œuvre absolus de Bergman. D’aucuns pensent qu’il représente l’apothéose de sa carrière. Le film a été inspiré par une de ses visions : il vit trois femmes en blanc qui chuchotaient dans une pièce rouge. Le rouge est apparu d’emblée comme postulat du film. Il tapisse du sol au plafond les intérieurs oppressants où se meuvent les femmes. Il est le sang malade qui teinte les lèvres et paraît bouillonner sous les paupières de l’agonisante Agnès et celui de Karin qui s’automutile. Il apparaît aussi lors des fondus enchaînés entre les séquences et semble diluer les visages en gros plan des protagonistes. Le rouge est d’autant plus contrasté qu’il est confronté au noir des meubles et au blanc de robes. On apprend grâce aux bonus que Bergman enfant se représentait l’âme comme un monstre noir sans visage et rouge à l’intérieur. A l’image de cette vision, le film s’avère extrêmement freudien.

Puissante et dure à la fois, l’œuvre explore encore le thème de la Mort, plus précisément du dernier souffle, celui qui ne tarde pas à quitter le corps métastasé d’Agnès, mais aussi de l’incommunicabilité et de l’inanité des sentiments envers ses proches. Les actrices, des habituées de Bergman, Harriet Andersson (Monika, La Nuit des forains), Liv Ullmann (Persona, Scènes de la vie conjugale) et Ingrid Thulin (Les Fraises sauvages, Le Silence), sont, avec la bonne, tout simplement magnifiques, sublimées par une composition de plan très picturale (on pense à la « Piétà » entre la bonne et le corps d’Agnès inerte) et une lumière remarquable. On découvre que Bergman et Sven Nykvist, son chef opérateur, n’ont utilisé aucune lumière artificielle ou presque durant le tournage. Cris et chuchotements a été entièrement filmé en fonction de la position du soleil lors de ses passages successifs à travers telle ou telle fenêtre du château ! Alors qu’il ne tourne en couleur que pour la quatrième fois, Bergman offre ici une véritable leçon de cinéma.

La Flûte enchantée, film-opéra sorti en 1975 et adapté de l’œuvre de Mozart, rappelle l’homme de théâtre qu’il n’a jamais cessé d’être. Il fut à de nombreuses reprises directeur, metteur en scène, et auteur de pièces tout en travaillant pour le cinéma. Ce qui frappe avant tout dans le film, c’est son désir de vulgarisation du théâtre (le film était d’ailleurs destiné à la télévision). Mais il n’en reste pas moins cinématographique. Le principe même de La Flûte enchantée repose sur des échappées belles de la caméra, qui quitte le point de vue de l’orchestre pour laisser libre cours à la mise en scène filmique : des champs/contre-champs classiques et la présence incessante des coulisses dans le plan. Bergman montre l’envers du décor : les acteurs qui attendent leur passage, regardent le public à travers le rideau ou fument des cigarettes entre deux scènes. Il met aussi en avant les trucages du théâtre, des fils transparents à peine dissimulés de la flûte qui s’envole aux descentes de décor, qui donnent tout simplement de la magie aux images.

Bonus

Le contenu des bonus de ces quatre ressorties est assez inégal et parfois maigre. Présentes sur tous les dvds à l’exception de La Flûte enchantée, les introductions d’Yves Alion, journaliste et rédacteur en chef de l’Avant-scène Cinéma, sont toujours pertinentes et représentent une bonne entrée en matière dans l’univers de Bergman. Il livre à la fois des anecdotes sur la genèse des films mais aussi des clés de compréhension pour le spectateur. C’est encore lui qui mène les interviews des trois réalisateurs français présents dans les bonus. Le Septième Sceau, qui méritait sans doute plus de documents, ne présente qu’une interview de Jean-Claude Brisseau particulièrement ennuyeuse. Les bonus des Fraises Sauvages sont également peu nombreux, mais cette fois-ci, le film vu par Claude Miller est un moment très agréable d’analyse. Le réalisateur de L’Effrontée, offre un commentaire très fin du film.
La Palme de la finesse revient à Philippe Lioret, réalisateur du récent Welcome, qui livre une analyse de Cris et chuchotements particulièrement sensible, intelligente et honnête (il avoue avoir trouvé le film « insupportable » à la première vision avant de dire combien il a été influencé par lui). Cris et chuchotements bénéficie quant à lui d’une interview de Liv Ullmann drôle et émouvante, livrant quelques histoires croustillantes sur le film.

Les suppléments de La Flûte enchantée sont de loin les plus riches. Ils comportent un superbe documentaire de soixante-trois minutes sur le tournage du film, où l’on peut voir un Bergman totalement habité par l’œuvre de Mozart, autant investi dans sa mise en scène que dans sa relation aux acteurs/chanteurs. Puis, le dvd propose une interview de Bergman réalisée en 2001 de quelques quarante minutes. On y découvre un homme vieilli et amaigri – il a 83 ans en 2001 – mais toujours aussi vif et drôle, puis tout à coup sombre à l’évocation de la mort et stoppant l’entretien inopinément. Enfin, une analyse alternée entre des spécialistes de Mozart comme Rémy Stricker, un théoricien du cinéma comme Jacques Aumont, ou un metteur en scène comme Alfredo Arias permettent d’éclairer une œuvre un peu à part dans la filmographie de Bergman.

Sortie le 16 février 2010. Editions Opening.

(1) Interview de Bergman en 2001, bonus du dvd de La Flûte enchantée, Ed. Opening, 2010

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