Loin des grands studios de production pour lesquels le cinéaste a tourné le récent Land of the Dead, Romero se réoriente vers le cinéma indépendant et se contente, comme à ses débuts, des moyens techniques et financiers les plus réduits. Les acteurs sont passables, les décors sommaires ; quimporte, lessentiel pour le réalisateur consiste à réaborder le cinéma dun il nouveau. Au lieu de se définir comme la suite du précédent épisode, Diary of the Dead semble en réalité ouvrir de nouvelles perspectives. Celui-ci nest pas tant le cinquième film de la saga de Romero, que le premier opus dune nouvelle série de longs-métrages.
Tourné avec deux caméras DV, dans la lignée de Cloverfield, de REC ou encore du Projet Blair Witch, le film de Romero repose sur un principe de caméra subjective. Manipulées par les personnages mêmes du film, les deux caméras font partie intégrante des éléments mis en scène par le récit : elles sont visibles et rendent visibles. Ainsi personnifiées, les caméras ne filment pas seulement linvasion des morts-vivants, mais contribuent à créer un climat de peur subtil et saisissant : les protagonistes risquent leur vie du simple fait de montrer ce qui se passe. Si le film, sur ce point, se montre réussi, le procédé nest pas pour Romero une fin en soi. En réalité, le cinéaste sen sert pour élargir la portée de son message.
En modernisant lun des thèmes principaux, jusque-là abandonné, de La Nuit des Morts-Vivants, le cinéaste semploie à remettre en question le bien-fondé des nouveaux médias de communication (Internet, blogs, multiplication des chaînes de télévision). Etudiants en cinéma, les personnages du film décident de filmer la catastrophe qui sabat dans leur pays et de diffuser leurs images, donc le film lui-même, sur Internet. Les protagonistes ne se contentent pas de lutter contre linvasion des morts-vivants, mais, tout en étant capables de commenter les événements après coup, se battent également pour le droit à une information pertinente.
Diary of the Dead ne ménage pas son discours, mais le souligne et létale de long en large. Le cinéaste émaille son film des pistes de lecture propices à sa bonne compréhension : il montre et apprend à voir. Plus que jamais, les morts-vivants de Romero ne renvoient pas forcément à eux-mêmes, mais à une forme quelconque de cataclysme. Explicitant ses références, le film évoque tour à tour le 11 septembre, louragan Katrina, les inondations de la Nouvelle-Orléans Tout autant de grandes catastrophes excessivement couvertes par les médias. La question, clairement, se pose : ce trop plein dinformations ne conduit-il pas à une certaine confusion, à une nouvelle forme d’obscurantisme ? Est-il encore possible aujourdhui, dans nos sociétés post-modernes, de pouvoir faire la différence entre le vrai et le faux ? Entre linformation et la rumeur ? Entre lévénement historique et l’événement médiatisé ?
Pointant le danger dune telle conjoncture, le film sinterroge sur la manipulation des images, et limpact que ces dernières portent sur le Monde. Si filmer les choses du réel revient d’une façon ou une autre à les transmuter dans une certaine forme de fiction assumée ou non, que se passe-t-il dès lors que cette dernière finit par prendre le pas sur le fait réel ? Répondant à une imparable logique, le film obéit à un triple renversement critique : le mort devient vivant, le faux devient le vrai et le réel une gigantesque fiction. Le Monde, selon Romero, a dores et déjà basculé dans son propre simulacre. Nous-mêmes sommes en train de devenir des fantômes, des morts-vivants
Entièrement revenu de son passage à vide des années 90, Romero renoue avec lacuité soixante-huitarde de ses débuts, et livre assurément son uvre la plus percutante à ce jour. Incontournable.
Sortie le 25 juin 2008