Demain est un autre jour

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Feutré, résigné et poignant, peut-être le plus beau film de Douglas Sirk.

Un prospère fabricant de jouets mène une vie confortable mais sans relief. Jusqu’au jour où il rencontre Norma, son premier amour, qu’il n’a pas oublié. Douglas Sirk retrouvait sur There’s Always Tomorrow Barbara Stanwyck, son interprète de All I Desire (1953), lequel préfigurait tous les grands mélodrames à succès qu’il réaliserait les années suivantes. Tout comme ce dernier, Demain est un autre jour est un mélo qui inscrit son émotion en pointillés, dans la retenue, le noir et blanc semblant associés chez Sirk à une approche plus feutrée et loin de la flamboyance visuelle et narrative – pas de rebondissements rocambolesques façon Le Secret magnifique (1954) ici – de ses grands mélodrames en couleur.

C’est dans cette tonalité intimiste que nous allons assister au récit d’une romance avortée. Clifford Groves (Fred MacMurray) et Norma Vale (Barbara Stanwyck), anciens collègues de travail, s’étaient quittés vingt ans plus tôt bien que secrètement amoureux, pour suivre des destins bien différents. Norma aura privilégié la carrière à ses sentiments et est désormais une styliste réputée. Clifford quant à lui s’est marié et a fondé une famille tout en étant le patron d’une fabrique de jouets. Ils se rejoignent pourtant dans la profonde solitude et frustration qu’ils ressentent sur leur existence. Étouffé dans une routine domestique, Clifford voit les journées monotones et sans saveur se succéder tandis qu’il est délaissé par sa femme et ses enfants. À l’inverse, Norma s’est réfugiée dans le travail où son ascension ne masque pas ce qu’elle lui a sacrifié : un foyer. Les deux personnages se retrouvent à un moment clé de leur vie où ce vide respectif leur pèse et où ils pensent pouvoir ranimer la flamme qu’ils ne surent entretenir autrefois.

Sirk retrouve ici le motif de Tout ce que le ciel permet (1955) avec ce foyer en forme de tombeau et nid de toutes les frustrations pour Fred MacMurray. Le surgissement du hasard et de l’anodin qui n’a aucune vertu romanesque ici, servira toujours à noyer toute tentative d’évasion du quotidien. D’abord dans le cadre respectable de la famille où une sollicitation des enfants viendra toujours interrompre un moment d’intimité entre Clifford et son épouse Marion (Joan Bennett). Plus tard ce seront presque toutes les amorces de grandes envolées romantiques entre Clifford et Norma qui seront brutalement éteintes par une rencontre impromptue, une révélation inattendue et au final une douloureuse prise de conscience. Douglas Sirk ne laisse pointer son lyrisme que de manière diffuse, notamment par le leitmotiv de la pluie, utilisé avec une grande finesse (le reflet des gouttes perlant de la vitre de Barbara Stanwyck sur son visage remplaçant les larmes qu’elle se refuse à laisser couler) ou une emphase sobre lors de la poignante séparation finale. Le film n’est qu’une longue attente pour une romance qui ne s’épanouira jamais, sur un espoir condamné à être déçu et sur lequel joue ironiquement le titre original optimiste. Tous les chemins mènent ici à cette solitude dans ce qui semble être le film le plus désespéré de Sirk.
L’accomplissement professionnel qui permettait de progresser et se rapprocher des autres dans Le Secret magnifique (1954) – le héros incarné par Rock Hudson devenant médecin pour rendre la vue à la femme qu’il aime – n’est plus ici qu’un palliatif mince à l’isolement, Norma observant admirative le foyer de Clifford. Ce foyer s’avère pourtant bien intolérant (le fils soupçonneux et égoïste à rapprocher des enfants de Jane Wyman dans Tout ce que le ciel permet) ou tellement engoncé dans les codes de cette société (Joan Bennett, sorte de cliché forcé de femme d’intérieur) qu’il sera aveugle à la détresse de son chef de famille. L’analogie insistante entre Clifford et le jouet robot qu’il commercialise est ainsi éloquente, on attend d’eux qu’ils reproduisent à l’infini les mêmes gestes et actions sans qu’ils n’en dérogent jamais. Avec ce questionnement de la place de l’homme dans le modèle familial américain des années 50, Sirk suit une préoccupation au cœur de mélos contemporains comme notamment L’Homme au complet gris (1956), et annonce Les Liaisons secrètes (1930) de Richard Quine ou L’Arrangement (1969) de Kazan, où ces thèmes seront abordés plus frontalement encore. Ici, cela se manifestera par la cinglante tirade de Barbara Stanwyck aux enfants de Clifford venus défendre les intérêts de leur mère. Et le père, qu’en est-il de ces sentiments ?
Après Assurance sur la mort (1944) et le mélo de Mitchell Leisen Remember the Night (1940), l’alchimie entre Fred MacMurray et Barbara Stanwyck n’est plus à démontrer. MacMurray représente l’espoir déçu d’un homme qui ne demande qu’à vibrer à nouveau, tandis que Stanwyck (cette fois du côté de la tentation adultère, au contraire de All I Desire) symbolise elle la résignation douloureuse de ce qui aurait pu être. Jamais l’on ne croira à un nouveau départ possible entre eux, Sirk leur refusant même la moindre scène romantique commune. Il n’y cédera réellement que de la plus poétique et triste des manières, lors de la conclusion, où à nouveau captif de son foyer, Clifford entend puis observe de sa fenêtre l’avion le séparant pour toujours de Norma en larmes sur son siège. Par une douce ironie, jamais les personnages n’auront été plus en osmose et plus éloignés à la fois. Cette ironie porte aussi sur le faux happy end où la famille est sauve, l’habitude et la tradition prenant définitivement le pas sur les aspirations personnelles.

Titre original : There's Always Tomorrow

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Durée : 84 mn


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