Il faut attendre la dernière partie du film pour souscrire au déclenchement de guns propre au genre. Auparavant, la cavale se fait dans une succession de véritables tas de ferraille volés, "real piece of shit" de voiture comme dira une employée braquée. L’enquête est retardée à cause de banques qui n’avaient pas mis en place leur système de vidéosurveillance, les enquêteurs attendent dans un motel devant la télévision que les braqueurs surgissent. Il y a quelque chose de rance dans cette accumulation discrète mais bien présente de dysfonctionnements et d’inertie. Devant une station-service apparaît lors d’une scène, dans la même ligne de mire, un cheval blanc récupéré par un cow-boy et, devant lui, une voiture de course vert pomme conduit par de jeunes rednecks. On se trouve bien hésitant à déterminer lequel des deux véhicules constitue une anomalie, tant rien ne semble avoir véritablement changé dans ce Far West dont l’immensité des terres texanes constitue la scène primitive ; suspension de temporalité qui ne fait que renforcer le désarroi local. C’est, par exemple, toujours l’histoire de l’américain blanc contre le comanche dont il est question dans une scène au Casino, entre Tanner et un Indien.
Si l’on excepte une partition musicale appuyée et convenue (dans les moments d’émotion notamment), qui vient contrarier la sécheresse particulière de la mise en scène et une fin de trop, Comancheria forme peut-être un des westerns les plus singuliers de notre temps. D’une tristesse insidieuse, il s’associe, par son caractère, à la noirceur particulière des westerns des années 1960, sans pour autant renouer avec la déflagration insoutenable que proposait un Sam Peckinpah. Son beau duel final dans les montagnes n’a pas, à dessein, d’impact saisissant. Précis et froid, il s’achève sans gloire, sous une chaleur qui étouffe. On peine à voir qui peut sortir « gagnant » de la donne que propose l’oeuvre. Elle saisit à la gorge à petit feu, jusque dans son titre original, « Hell or high water », qui fait référence à une clause juridique rendant impossible toute annulation d’un contrat dans lequel l’acheteur rencontrerait des difficultés pour payer, quelles qu’elles soient. C’est l’héritage funeste et clairvoyant, rongé d’un capitalisme sauvage, de ce que le générique d’une série américaine bien connue des années 1980 chantait sans ironie, à se glacer : « Dallas, ton univers impitoyable, glorifie la loi du plus fort, patrie du dollar, du pétrole, tu ne connais pas la pitié ». Comancheria montre avec acuité les conséquences directes d’un tel commandement, pour un pays qui ne conserve ici son envergure guère que dans son espace monumental.