Coffret Michael Haneke 3 DVD : Le 7e Continent / Benny’s Video / 71 fragments d’une chronologie du hasard

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Le couperet tombe avec la froideur d’un hiver viennois. 3 oeuvres essentielles pour comprendre l’inexplicable.

Coffret Michael Haneke, Opening Video, 3 DVD (sortie 5 octobre 2005) : Le 7e Continent / Benny’s Video / 71 fragments d’une chronologie du hasard

Froid, distant, méticuleux, efficace, implacable. En trois dvds, qu’il a voulu trilogie et portrait de la société, Michael Haneke impose son univers violent et mécanique et offre les clés de lecture d’une œuvre tantôt choquante, tantôt sociologique.

A l’heure où le cinéaste se confond dans une réédition américaine de son Funny Games ; Le septième continent, Benny’s Video, et 71 fragments d’une chronologie du hasard sont les plus fidèles témoignages de la science de leur auteur et les plus aptes à distiller ces moments de tension claustrophobique qui secouent les personnages. La recette est la même mais reste d’une incroyable efficacité. Par la prépondérance de ces longs plans séquences qui posent de façon optimale un climax pressurisant, et qui sont à eux seuls les indices d’une violence soudaine et totale, Haneke choque, interpelle, interroge dans un patchwork d’éléments sociologiques, psychologiques et théologiques. 

Entre clés de lecture jetées ici et là, espace dématérialisé et corps atomisés, le réalisateur autrichien compose une toile naturaliste à la lisière de l’hyperréalisme. Il découvre sans les juger ses personnages enferrés dans des rituels quotidiens oppressants. L’image est souvent froide et distanciée, et les corps réduits à des mains s’attelant à un travail routinier besogneux. En perte d’ancrage et livrés à eux-mêmes dans une société où les images ont remplacé la réalité, les personnages hanekiens ne trouvent aucune rédemption : suicide, trahison, saccage, meurtre ne seront à aucun moment catharsis mais bien apogée d’une frustration condensée.

Dans le 7e continent (quinzaine des réalisateurs Cannes 1989), Georg et Anna se complaisent dans un simulacre de vie sociale et dans un aveuglement aussi violent que le constat d’échec qui en découlera. Le Benny de Benny’s video (quinzaine des réalisateurs Cannes 1992), s’enfonçant dans la régression, atteindra un point de non retour jusqu’à ne voir sa vie qu’à travers le prisme de ses caméras et accomplir l’inévitable « pour voir ce que cela faisait ». Entre chimère et dérapage incontrôlable, l’adolescent débranchera le câble qui le rattachait à la réalité. Les 71 séquences de 71 fragments…(quinzaine des réalisateurs Cannes 1994) effeuillent des personnages d’une affligeante banalité, instables, obsessifs, jusqu’à ce que l’acte final se comprenne, à défaut d’être expliqué. Par sa galerie de portraits et ses fondus de noir, le film emprisonne, dans un montage labyrinthique, jusqu’à ce que les pièces du puzzle composent finalement une mosaïque granuleuse et accidentée.

Trois films qui sont aussi l’occasion de retrouver les petites manigances temporelles de Haneke qui renverse, détourne, ralentit, joue avec le rythme de ces films : des moments qui se lovent dans une lenteur précise et qui préservent leur réalisme et des instants brutaux, fulgurants, qui tranchent avec une quotidienneté somnolente. Chez Haneke, le temps se dilate, s’étire jusqu’à ce qu’il craque dans une libération de violence incontrôlable. Certains reprocheront au réalisateur de les piéger dans un traitement du sadisme personnel servi par un cadrage et un tripatouillage du temps énervant. Mais l’emballage final est beau car coupant et acéré comme une lame de rasoir. Le contraste est alors violent et fait voler en éclats le vernis d’avatars et de faux semblants qui recouvre une mythomanie de survie.

Orfèvre de la polysémie textuelle et visuelle, Michael Haneke présente une société pétrie d’artefacts et de contradictions, sans prendre le temps d’expliquer ces moments de vacuité et de violence qui, s’ils choquent, opèrent un rééquilibrage de la réalité et trouent la bulle fictive qui aveugle les personnages. Abattage d’un cochon, agonie de poissons ou d’enfant, gifle impromptue, la violence se manifeste par différents moyens, parfois insignifiants, souvent extrêmes. Le réalisateur cherche à mettre en branle la machine émotionnelle de ses spectateurs, en leur laissant leur libre arbitre quant à l’explication à apporter à ces pics de brutalité qui confondent une vie bien rangée.

D’une cruelle actualité, ces premières œuvres proposent des espaces clos repliés sur eux-mêmes, qui participent de l’oppression générale dans une ville viennoise réduite à son minimum et à de grandes artères impersonnelles et froides. Dans un travail minutieux de champ et contre-champ, par l’utilisation (néanmoins excessive) de gros plans et de longues séquences, dans une belle montée de violence et de tension, avant d’atteindre le moment où tout bascule, Haneke partage son analyse chirurgicale d’une société en perte de repères en disséminant le doute par touches infinitésimales : une crise de sanglots (le 7e continent), une attitude troublante (Benny’s video), un comportement obsessif et violent (71 fragments) laissent insidieusement présager le pire.

Point de trilogie documentaire, mais un réalisme à couper au couteau (de boucher de préférence), et un moralisme à abattre (au pistolet d’abatage)…bref des œuvres ouvertes, baroques et essentielles à (re)découvrir.

Bonus :

Ces trois films sont présentés dans une copie nette, sèche et froide, qui rajoute à la puissance et au tranchant des idées mobilisées et des images imposées. Les sons, essentiels dans l’œuvre de l’auteur, sont préservés pour garder toute leur intensité troublante. Réalisateur des effets et non des causes, Michael Haneke revient dans une longue interview avec Serge Toubiana sur l’essence de son cinéma et sur ces trois œuvres qui lui avaient valu le titre de réalisateur de la glaciation émotionnelle. Divisée en trois séquences et dans un français parfait, le cinéaste autrichien y brasse des thèmes aussi différents que le sens de la culpabilité, sa conception de la réalité et du cinéma et offre (et c’est peut-être dommage) des axes de compréhension de ses films. Féru de faits divers dont il a fait la matière de ses réalisations, Haneke commente les séquences non montées de Benny’s video, et communique son plaisir de réaliser et de monter (une efficacité toute autrichienne puisque rares sont les scènes filmées qui au final ne seront pas montées). Une riche interview portée par la complicité des deux acolytes.

 

Titre original : Benny's Video

Réalisateur :

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Genre :

Durée : 105 mn


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