Coffret Georges Perec, la mémoire et le lieu

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Si les contraintes narratives et sémantiques qui permettent à Perec de faire plier le langage et de décrire avec exactitude la société nous sont familières, son rapport à l’image et au cinéma l’est un peu moins. Ce coffret permet de réparer cet oubli et de découvrir un homme, un écrivain et un réalisateur hantés par […]

Si les contraintes narratives et sémantiques qui permettent à Perec de faire plier le langage et de décrire avec exactitude la société nous sont familières, son rapport à l’image et au cinéma l’est un peu moins. Ce coffret permet de réparer cet oubli et de découvrir un homme, un écrivain et un réalisateur hantés par les possibilités du langage et de l’image, par le souvenir et la mémoire des lieux. Dans son entretien avec Jacques Chancel à la sortie de La vie, mode d’emploi, Perec revient sur sa carrière d’écrivain qu’il a longtemps mené de front avec un travail de documentaliste. L’écrivain, comme le réalisateur, se refuse à faire de la psychologie. Il décrit donc, bien souvent guidé par le plaisir de l’accumulation et par la jubilation que lui procure le fait même de raconter des histoires. Perec entasse les mots. Si Balzac voulait se mesurer à l’état civil, lui-même semble vouloir se mesurer au dictionnaire ou à l’Encyclopédie. Il se considère comme un réaliste mais son réalisme ne ressemble en rien à celui des auteurs du 19ème siècle. Sa tentative d’épuisement d’un lieu parisien montre bien comment il désire épuiser le réel en le décrivant.

Ce coffret propose deux films de Perec : Récits d’Ellis Island et Les Lieux d’une fugue. Deux œuvres qui juxtaposent un texte d’une grande force poétique et une succession de plans de lieux. L’emprunte du lieu passe par un travail de mémoire collective ou individuelle, Perec nous racontant le non-lieu et le lieu de l’absence grâce à l’anamnèse. L’expérience de Perec au cinéma est à la limite de l’expérimental, car s’il juxtapose une image et une voix, qui sont rarement en adéquation, il semble que l’image ait toujours besoin des mots pour trouver son essence. La voix fait résonner l’image, lui donne son sens et son étrangeté. Elle fait remonter le souvenir du lieu et crée, grâce à l’image, une nouvelle poétique du lieu du mémoire.

Mais le coffret propose aussi trois interviews de Perec à la télévision et une émission radiophonique avec Jacques Chancel ainsi que sa participation à l’émission « Cinquante choses que j’aimerais faire avant de mourir ». Ces moments avec l’auteur nous font découvrir un homme modeste, pudique, au physique de diable, dont la vocation est de vivre de son art. La recherche de ces lieux de mémoire et la nécessité d’une construction identitaire viennent en partie du fait que Perec devint orphelin très jeune : son père meurt en 1940 et sa mère, quelques années plus tard à Auschwitz. La genèse et la postérité des choses, de l’homme qui dort ou encore de La vie, mode d’emploi sont évoquées avec simplicité par cet artisan de la littérature. Il distancie tout en regardant d’un œil complice ses personnages, avoue leur avoir prêter certaines caractéristiques. Il s’inscrit dans une filiation qui va de Leiris à Roussel, Rabelais, Stern, Kafka, Jules Verne, Queneau ou encore Flaubert. Dans la dernière émission, Perec énumère, comme il aime tant le faire, les trente-sept choses qu’il aimerait faire avant de mourir. Pour n’en citer que quelques-unes : apprendre l’italien pour pouvoir lire Dante, aller du Maroc à Tombouctou à dos de chameau en 52 jours, se soûler avec Malcolm Lowry, planter un arbre. Sa mort, quelques mois après l’émission, l’en a certes empêché mais le souvenir de ces choses et celui de ses œuvres sont comme une empreinte de l’écrivain dans le temps.

L’avenir de notre mémoire doit se construire avec celui qui avait pris la sienne et celle des exilés comme objet pour les inscrire à jamais dans l’éternel.

Titre original : Les Lieux d'une fugue

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Durée : 41 mn


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