Chaleur et poussière

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James Ivory fait se confronter passé tumultueux et présent apaisé. Lequel vaut d’être vécu ?

Chaleur et poussière entame un formidable cycle créatif pour l’association liant le réalisateur américain James Ivory, son producteur indien Ismail Merchant et la scénariste britannique Ruth Prawer Jhabvala, réunis sous la bannière Merchant Ivory Production, leur maison de production. Le trio, actif depuis 1963 et The Householder, connaîtra une reconnaissance publique et critique grandissante jusqu’à Les Vestiges du jour (1993). Ruth Prawer Jhabvala adapte d’ailleurs à nouveau ici un de ses plus fameux romans avec ce Chaleur et poussière paru en 1975 et pour lequel elle reçut le prestigieux prix Booker. Le ton du film se partage constamment entre un romanesque réel et un fantasme de romanesque. Cette différence s’installe grâce à la double narration du film, contemporaine et d’époque, la première poursuivant sans cesse la seconde. Anne (Julie Christie), à travers les archives, témoignages et pèlerinages entamés sur place, marche sur les traces de sa grand-tante Olivia (Greta Scacchi), épouse d’un fonctionnaire en poste dans les Indes britanniques dans les années 1920 et qui abandonna tout pour l’amour d’un prince indien. La narration offre un joli jeu de miroirs entre les époques où si le mimétisme se fait par des lieux similaires traversés à 60 ans d’écarts, le ton diffère grandement.

 

En 1920, l’héroïne est en opposition constante à son environnement. Quand l’aristocratie anglaise toise les indigènes et leur culture du haut de leur condescendance coloniale, Olivia s’y sent elle comme un poisson dans l’eau et s’ennuie dans les dîners mondains auxquels elle doit se soumettre. Pétillante, fougueuse et débordante d’énergie, ce pays est fait pour elle et c’est à travers son regard émerveillé qu’on le découvrira, le temps de moments suspendus, à l’instar de la longue séquence de pique-nique. Cette attirance se concrétisera progressivement dans la séduction exercée par le Nawab  (Shashi Kapoor) dont le charme, le bagout et le charisme la fera succomber. La partie contemporaine ne manque également pas d’attrait grâce à la prestation pleine d’allant de Julie Christie. On y retrouve la vision bariolée de l’Inde mais sous un jour plus intimiste. Comme son ancêtre, Anne se sent en communion avec cette contrée mais n’a pas l’entrave raciale et de classe de son aînée et peut donc s’y épanouir pleinement. Cela constituera un obstacle car la force de l’histoire d’amour d’Olivia provenait de sa rébellion progressive envers son milieu et ses semblables, l’accomplissement de l’interdit magnifiant cette romance par le danger encouru. Anne court après ce genre de sensation, suivant la route de sa grand-tante, sauf que son environnement est désormais plus paisible : la proximité et les relations mixtes sont acceptées (à l’image du bouddhiste occidental farfelu incarné par Charles McCaughan, le dialogue moquant ceux venant dans les Indes pour y suivre un gourou) et lorsqu’elle s’abandonnera à une histoire avec son hôte Inder Lal (Zakir Hussain), jamais son souffle n’atteindra celui du passé.

Le présent, trop sage, semble avoir perdu cette flamme qui animait une Inde pourtant montrée comme une poudrière dangereuse (le pays n’obtenant son indépendance que plus de 20 ans après les évènements du film) mais où la menace agit ici comme un stimulant, au contraire d’un monde moderne endormi. D’ailleurs, si l’Inde contemporaine et ses habitants paraissent idylliques, la vision du passé s’avère moins manichéenne avec notamment un Nawab soupçonné d’être le complice de voleurs pillant le village. James Ivory capture ces moments avec élégance et sobriété, loin de la flamboyance affichée par David Lean sur La Route des Indes (1984), au sujet proche. La narration prend son temps, expose calmement les tenants et aboutissants géopolitiques, développe la psychologie des personnages de manière à la fois littéraire et poétique, sans lourdeur, ce grâce au brio et à l’inventivité du montage. On vogue ainsi d’une temporalité à une autre, les glissements se faisant par la réutilisation d’un décor, l’incursion d’une voix-off dans le passé ou le présent (les entrevues entre Anne et Harry Hamilton-Paul incarné par Nickolas Grace), la répétitivité de certains instants. La conclusion obéit aux deux tonalités exprimées tout au long de l’intrigue. Le passé fut douloureux mais vibrant et passionné, le présent est lui serein mais incertain avec cette ultime image solitaire d’Anne. L’actrice Julie Christie y est formidable de douceur et de charme, pendant parfait d’une Greta Scacchi quasi-débutante et au tempérament espiègle et séducteur inoubliable.

Titre original : Heat and Dust

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Durée : 133 mn


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