Jojo (Jean-Pierre Léaud), abandonné par son père qui a refait sa vie avec une mégère abusive, habite seul dans une mansarde donnant sur la place Pigalle. Par orgueil vis-à-vis de ses voisins, il s’efforce de ne pas avoir l’air seul, joue au dur et tombe amoureux d’une danseuse (Magali Noël), maîtresse d’un boxeur de seconde zone (Pierre Mondy). Commence alors pour cet adolescent la découverte d’un monde aux mœurs et activités déroutantes.
Entrepris après le grandiose huis clos Marie-Octobre et le méconnu Das Kunstseidene Mädchen (sortie en France en catimini sous le titre de La grande Vie), Boulevard est une adaptation d’un roman du même titre signé Robert Sabatier. Julien Duvivier, dès sa parution, décide de le porter à l’écran en s’adjoignant pour son adaptation les services de René Barjavel. Le boulevard auquel le titre du livre se rapporte est celui de Clichy, attenant à Montmartre. L’ambiance du roman séduit Duvivier, d’autant plus qu’à l’époque où il en entreprend la mise en scène, il confie sur les ondes de France Culture qu’il souhaite « refaire Poil de carotte ». Il est effectivement question au cours de cet ouvrage de Sabatier, comme dans celui de Jules Renard, de difficultés relationnelles entre un fils et son père, face à une belle-mère revêche et acariâtre. Mais ses rapports avec sa famille de substitution (Mondy et Noël) vont prendre un schéma et tournure œdipiens. Jojo, quant à lui, rejoint la lignée des protagonistes désenchantés, voire misanthropes, de l’œuvre de Julien Duvivier: « Les Hommes, c’est plein de salauds. », lance-t-il du haut de son toit-poste d’observation.
Duvivier confie ainsi le rôle de Jojo à l’acteur symbole de la Nouvelle Vague : Jean-Pierre Léaud, adolescent devenu star via les 400 Coups. A ses côtés, Pierre Mondy, Magali Noël, ou encore des comédiens que nous apprécions dans des personnages truculents, tels Robert Dalban, Jacques Duby, ou Alexandre Rignault (que Duvivier employait déjà en 1932 dans La Tête d’un homme). La jeune Marietta, jeune fille dont Jojo tombe amoureux est interprétée par Monique Brienne. En outre, le réalisateur de La Femme et le pantin tourne en quasi-intégralité son long-métrage aux studios de Boulogne, où les toits de Montmartre, sommet d’où Jojo contemple son quartier, sont édifiés; des plans extérieurs seront filmés et seront insérés avec les autres prises de vues au montage. Les scènes sur les toits évoquent le cinéma des années trente, celles en extérieurs vont plutôt du côté de la Nouvelle Vague (notamment lorsque Jojo fuit la police, accompagné par un travelling avant digne du film de Truffaut). Une hybridation que d’aucuns, parmi les critiques, reprocheront à Duvivier lors de la sortie de son film.
Un autre intérêt du film réside dans le fait que Montmartre prend l’allure d’un monde clos, d’un espace-temps particulier où, finalement, peu importe que nous soyons face à des personnages, un filmage, et des dialogues parfois surannés : nous vivons, pendant la durée d’un film, dans un entre-deux, entre réalisme poétique, et Nouvelle Vague. Grâce à Julien Duvivier (dont l’œuvre est à redécouvrir, une œuvre intense, entre réalité et merveilleux dans certains films, entre cruauté et passion dans d’autres, où le petit peuple côtoie le grandiose et le quotidien), Boulevard, au-delà d’une première lecture critique, peut nous émouvoir par sa tentative d’union, de réconciliation certes délicate entre le cinéma de papa et la Nouvelle Vague.
Et, disons-le une fois encore clairement, Boulevard, c’est aussi Jean-Pierre Léaud (ad libitum), une force, une interprétation peu conventionnelle, une entrée vers la magie. Une présence surhumaine qui dépasse le film dans lequel le lion Léaud surgit.
Boulevard (1960) de Julien Duvivier
Pathé – 26 juin 2024 Boîtier avec fourreau
Contient :
« Julien Duvivier, courte biographie » de Cécile Dubost (2024, 10’16 »)
« Boulevard, un film entre deux époques » de Cécile Dubost (2024, 11’42 »)
« Une adaptation moins fidèle qu’elle n’en a l’air » de Cécile Dubost (2024, 11’42 »)