Au cas où je n’aurais pas la palme d’or

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Comédie douce-amère sur les affres du métier de réalisateur.

« Le seul moment où l’on est bien, c’est celui où l’on est satisfait d’avoir fini un film, et pas encore inquiet de ne pas arriver à tourner le suivant. » Renaud Cohen en sait quelque chose : onze ans se seront écoulés entre Quand on sera grand et son deuxième long métrage, Au cas où je n’aurais pas la palme d’or. Entre les deux, quelques similitudes : la famille, la religion juive et surtout, l’envie d’en découdre. Ici, Renaud Cohen joue lui-même Simon, réalisateur de cinéma quadragénaire qui n’a rien tourné depuis dix ans, accumule les rendez-vous inutiles avec son producteur qui lui assure que « c’est bien », mais aimerait plus de « caractérisation des personnages, tu vois ce que je veux dire ? ». Simon ne voit pas très bien, participe à des groupes de parole d’anciens réalisateurs anonymes (apparition savoureuse de Solveig Anspach, auteur de Haut les coeurs). Quand il découvre une bosse au sommet de son crâne, il imagine le pire : c’est sûr, c’est une tumeur, il va mourir, il est grand temps de réaliser un nouveau film, envers et contre tout.

Simon/Renaud Cohen donc, l’un et l’autre indissociables d’un film en forme d’autobiographie ironique, où les auteurs français ont encore quelque chose à dire mais plus les moyens de le faire. Cohen fait jouer ses parents, sa femme et ses enfants ; se met en scène réclamant des subventions au mégaphone devant les locaux du CNC ; fait la quête dans le métro « pour le cinéma français ». Au cas où je n’aurais pas la palme d’or est un méta-film : toutes les étapes de production y sont représentées, des tracasseries administratives de dossiers à adresser aux institutions à l’autofinancement et au tournage dans son salon. Si l’ensemble est réussi, c’est grâce au savant mélange opéré par Renaud Cohen : ni dans l’auto-apitoiement, ni dans la franche critique d’un système vicié, son film se présente plutôt comme état des lieux personnel d’un cinéaste qui a passé si longtemps à angoisser de ne plus refaire de film qu’il avait oublié qu’il pouvait encore le faire.

Au cas où je n’aurais pas la palme d’or rappelle par instants Je fais feu de tout bois, le film de Dante Desarthe sorti plus tôt dans l’année. Même amour d’un cinéma artisanal et fauché, même constat d’échec pris avec ironie, même génial humour-propre, doublé ici d’un recul drôlissime pris sur la communauté juive, comme dans cette scène où, inquiet de sa bosse crânienne, Simon se prend à rêver qu’il n’est pas seul. « Si c’était ça, le secret des Juifs ? Sous la kippa, il y a une bosse qui se cache. Une bosse ethnique, la bosse des Juifs. » Pas forcément très inspiré d’un point de vue de l’image et parfois alourdi par un propos volontariste appuyé (en gros, quand on veut on peut), le film de Renaud Cohen compense par des dialogues bien écrits et un casting irréprochable (Bruno Todeschini, Julie Gayet, Samir Guesmi). Il y a du Podalydès chez Cohen, qui manie subtilement autodérision et une conscience très précise de ce qu’est le cinéma, comme la place qu’il occupe dans celui-ci. À la fin du film, Simon dit : « Si je meurs, je veux qu’on écrive sur ma tombe : Il a essayé. Et s’il avait vécu plus longtemps, il aurait peut-être eu la palme d’or ».  Tant qu’il y a des films, il y a de l’espoir.

Titre original : Au cas où je n'aurais pas la palme d'or

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Durée : 80 mn


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