Arrêt d’autobus (Bus Stop – Joshua Logan, 1956)

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Marilyn au pays des cowboys machos : rodéo, lasso et quiproquos.

Vingt-cinquième film de Marilyn Monroe, Arrêt d’autobus n’a pas forcément la cote. Alors qu’elle est déjà une star en 1956 (elle a déjà tourné Les Hommes préfèrent les blondes ou encore Rivière sans retour), Arrêt d’autobus n’est pas l’un des titres les plus célèbres de la filmographie de l’actrice, et a longtemps bénéficié d’une mauvaise réputation alors qu’il fut nommé pour plusieurs prix à l’époque (notamment des prix d’interprétation pour Don Murray). Evidemment, Arrêt d’autobus n’est pas le meilleur film de l’actrice. Il n’est ni le plus drôle, ni le plus finement réalisé. Malgré quelques beaux films (dont Picnic et Sayonara), Joshua Logan n’est pas le réalisateur le plus inventif ou le plus raffiné d’Hollywood. Pourtant Arrêt d’autobus ne mérite pas le fiel déversé contre lui. « Petit film », il est typique des années 50 américaines dans leur capacité à insuffler un fond intelligent à un délire farcesque réjouissant, tout en conservant bien sûr un happy-end aussi niais que désespérément moralisateur.

Dès le début, Arrêt d’autobus se donne comme un film ultra lisible dans ses intentions. Quelques images : un bus, le nom de Marilyn apparaissant en lettres rouges immenses, puis un cowboy qui attrape une vache sur fond de country édulcorée. A nous de résoudre l’équation. Comme il est peu probable que le cowboy mette ses vaches dans le bus pour rejoindre Marilyn, gageons qu’il s’agit de l’histoire d’un homme qui traite les femmes comme il s’occupe de son bétail, poussant celles-ci à fuir. Bonne pioche !

 
 

Le film montre le parcours de Bo Decker (Don Murray dont c’est le premier film), petit Johny du fin dons du terroir qui n’a jamais rien vu d’autre que des vaches, et qui va à la grande ville pour participer au rodéo. On lui fait incidemment comprendre que s’il pouvait s’y trouver une femme, ce serait pas mal. Le voilà donc parti pour « Phoenix, Arizona » accompagné/chaperonné de son ami Virgil (Arthur O’Connell). Il trouvera son « ange » en la personne de Cherie, chanteuse-entraineuse de cabaret qui se rêve star d’Hollywood, mais dont la réalité est faite de collants troués et de clients qu’elle pousse à la consommation.

Bo Decker est présenté comme l’abruti de service du coin sur un mode caricatural. Il cumule toutes les tares du provincial qui n’a jamais vu la ville : celle du beau gosse macho qui fait des pompes dans le bus. Il est violent, susceptible, bagarreur, pas futé pour un sou… Oui, mais il est aussi gentil, extrêmement naïf et sincère. Un baiser vaudra pour lui promesse de mariage. Il est prêt à tout pour sa belle. Il faut être cultivé pour se faire aimer d’une femme, lui dire de la poésie. Qu’à cela ne tienne, il ira réveiller Cherie en lui récitant la Déclaration des droits de l’homme. Forcément s’éprendre d’une presque call-girl n’allait pas lui rendre la vie facile. Entre la confrontation aux autres hommes à la langue pendante et le caractère pas facile de la belle, il est vraiment mal tombé. Alors qu’il pense qu’une femme c’est comme une vache, il suffit de l’attraper au lasso et de l’emporter (ce qu’il fera dans le film), Cherie se braque et ne se plie pas à ses volontés.

 

Le comique du film naît de cette confrontation entre un hyperactif colérique qui n’en fait qu’à sa tête et la femme libérée qu’il ne comprend pas et qui lui échappe. Logan joue de cette incompréhension à deux niveaux : la parole et le geste. Si Bo ne tient pas en place, il a aussi langue bien pendue et un débit de parole impressionnant. Alors qu’il est on ne peut plus clair, il répète sans cesse les choses pour bien se faire comprendre, mais est incapable de saisir ce que lui explique Cherie. De toute manière, il ne l’écoute pas et n’a aucune envie de l’écouter. Il a décidé, c’est suffisant. L’opposition entre les deux personnages s’incarne encore dans les attitudes : l’hyperactif et la nonchalante. Frais et dispo dès le matin, il se heurte à une Cherie encore endormie à 14h et qui n’a aucune envie de le suivre. Au milieu de la foule, il se montre bruyant, là où Cherie voudrait passer inaperçue. Il hurle, il gesticule pour manifester sa présence et elle ne sait plus où se mettre. Logan multiplie les plans de réaction sur la foule se détournant à leur passage tonitruant et ceux sur Marilyn qui ne sait plus où se mettre. Au meilleur de sa forme, Bo interrompra même un défilé portant Cherie sur les épaules pour aller saluer un ami. Le duo fait des merveilles dans ces scènes : Murray extatique et Monroe constamment dépitée qui pousse des soupirs de désespoir, se cache le visage ou multiplie les mimiques…

 

  

Mais sous couvert de franche comédie, le sous-texte du film est plus trouble. Cherie est en échec. Partie de chez elle pour réussir à Hollywood, elle se retrouve coincée à mi-chemin à chanter à moitié nue dans un bouge infâme. Plutôt que star de l’écran, elle est aux mains de cowboys alcooliques dans un costume défraîchi sans trop espoir d’en sortir. D’ailleurs, le talent ne semble pas étouffer Cherie. Le numéro chanté du film reflète l’image du bar où il prend place : Cherie est mal-à-l’aise sur la petite scène, le chant est malhabile et la danse hésitante. Ce ne sont pas quelques effets de lumières qui la sauvent, même si les clients y trouvent leur compte. On est loin des brillants numéros des Hommes préfèrent les blondes par exemple. Ici, le personnage est pathétique, à la merci d’un patron irascible et d’hommes libidineux. Marilyn retrouve un rôle proche de celui de Rivière sans retour d’Otto Preminger qu’elle tourna quelques années auparavant (1954). Mais point de grande aventure ici, points de rapides à descendre et d’Indiens à fuir, point d’homme fort et brave pour l’enlever et la sauver. Comme toute bonne call-girl, les hommes elle les a multipliés. Sa seule porte de sortie semble bien être ce bêta de cowboy. De ce point de vue, sa situation n’est guère réjouissante.

 

« Je ne peux pas la regarder en face. Elle m’a vu me faire battre. »

Source continuelle de comique, le machisme de Bo Decker est aussi un point crucial du film. Que met en scène Arrêt d’autobus au final ? Un homme pour qui il est parfaitement normal de faire ce qu’on veut d’une femme et une femme qui refuse d’être traitée comme un objet, une opposition entre une position séculaire de l’homme et l’émancipation féminine. Au-delà du rire, c’est une mutation sociale que montre le film, celle des genres au XXe siècle. Le statut du macho violent maître en tout lieu et toute chose commence à s’effriter. Ce n’est pas seulement à la ville que se confronte Bo, mais en un sens à une certaine modernité. Là, tous ses repères tombent et plus personne ne respecte son attitude. On ne conquiert par une femme par la force, elle vous échappe sans cesse. Cela le conduit même, humiliation suprême, à se faire battre par un autre homme sous les yeux de Cherie. Défait, Bo n’a plus qu’à s’incliner. Arrêt d’autobus peut se lire comme un récit initiatique. Le vrai héros ne serait alors pas Cherie, mais Bo, seul personnage à véritablement se transformer au cours du film. Entre évolution du personnage masculin et happy end moralisateur nécessaire (pas d’échange de salive à Hollywood sans mariage au finale), Bo s’excusera auprès de tous les personnages et renouvellera sa demande en bonne et due forme auprès de Cherie qui, remisant ses rêves de gloire au placard, accepte le beau cowboy plus macho et sa ferme perdue.

Arrêt d’autobus ne véhicule évidemment pas un grand discours sociologique. Le film de Joshua Logan reste une comédie assez classique relevée de quelques éléments reflétant les évolutions d’une époque. A la fin tout rentre dans l’ordre (établi), mais le blaireau du coin aura appris à la faire la différence entre une génisse et une actrice. En plus du rodéo, il aura remporté une épouse. Mais le vrai gagnant du film, c’est Virgil, l’ami dévoué, qui a réussi à se débarrasser de son lourdingue de Bo et peut aller conter fleurette, la guitare sur le dos, dans d’autres contrées. Tout est bien…

Titre original : Bus stop

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Durée : 95 mn


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