Amour sur place ou à emporter

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La comédie française continue de creuser. Ou comment une petite pièce peut se transformer en un film prodigieusement lamentable.

Amour sur place ou à emporter produit un effarement colossal. Réaliser un mauvais film, passe encore, certains s’y emploient très bien depuis des années. Mais arriver à mettre sur pied un objet aussi contradictoire et contreproductif, saborder sciemment ses propres intérêts est un exploit qui tient d’une performance qui serait presque à saluer. On n’a pas vu la pièce d’Amelle Chahbi qu’elle adapte elle-même et qui jouit d’un beau succès au théâtre, on ne peut donc juger que le résultat filmé – encore que le film est écrit, mais pas vraiment filmé ! Cela dit, le désastre n’est pas seulement cinématographique car dès le scénario les dés sont jetés. La comédienne mâtine le classique des contraires qui s’attirent – soit la travailleuse vs l’as de la glande – d’un soupçon d’"amour n’a pas de loi" en jouant des antagonismes ethniques arabe/noir. Amelle, manager d’une chaîne de café bien connue, se retrouve avec dans les pattes Noom, un employé moyennent concerné par son job et dragueur lourd dont l’unique qualité est peut-être sa persistance dans ses ardeurs. Le reste est écrit d’avance.

Que l’histoire soit cousue de fil blanc n’est pas vraiment un problème. C’est le cas de bon nombre, si ce n’est la plupart, des comédies, romantiques notamment. Du moment que l’ensemble est raconté avec brio et personnalité, l’affaire est dans le sac. Le problème ici c’est que tout, mais tout va à vau-l’eau. Amelle Chahbi rêve d’une comédie à l’américaine – le début, typique du « film de fille » outre-Atlantique – mais son humour est clairement franchouillard. Fantasmant sans doute sur le talent de Kristen Wiig ou Tina Fey, son modèle semble pourtant plutôt Dany Boon et Amour sur place ou à emporter à plus à voir avec Bienvenue chez les chtis qu’avec Mes Meilleures Amies ou Crazy Night. A la confrontation des particularismes Nord/Sud, répond une confrontation ethnique des plus bas du front. Le plus triste, c’est que le scénario d’Amelle Chahbi, Matt Alexander et Noom Diawara pointe du doigt des questions de premier ordre touchant la mosaïque des communautés françaises : celle d’un encouragement à un repli communautaire, de la persistance de traditions hors d’âge… Il les touche du doigt pour ne surtout pas les interroger donnant lieu à une mise en scène ubuesque de clichés qui, s’ils étaient écrits et filmés par d’autres, auraient tôt faits d’être qualifiés de racistes.

 

Mais le plus gênant, dans ce film co-écrit et réalisé par une femme, est sans doute le sexisme manifeste d’Amour sur place ou à emporter. Sous l’apparence d’une héroïne accomplie et sûre d’elle, Amelle Chahbi se plaît à décrire son avilissement pour s’attirer les bonnes grâces de son homme. Alors oui, le rapport de force est inversé : Madame gagne plus et globalement assure le train de vie du couple. Mais le jeu de pouvoir reste strictement machiste. Là où la seule qualité de Noom semble de s’être intéressé et accroché à Amelle, on observe le constant aplatissement d’une femme devant un homme, son seul acte de résistance étant de différer le plus loin possible tout rapport sexuel afin de marquer à quel point elle n’est pas une « fille facile ». Jusqu’au summum de l’horreur où on la voit rigoler quand son mec en drague une autre, de manière tout à fait naturelle sous ses yeux. Le problème, c’est que chacune des situations du film est décrite comme normale, logique, banale, jamais interrogée pour le potentiel d’inégalité et d’anormalité qu’elle comporte. A la place d’une gourde et d’un gros lourd, le film s’entête à présenter ses personnages tels une femme de tête perdue dans sa vie sentimentale et un garçon balourd mais gentil dans le fond. Amelle Chahbi décrit malgré elle une jeunesse profondément réactionnaire et se félicite d’y appartenir.

Un mot sur un détail qui pourrait n’être qu’annexe mais qui prend une place démesurée dans le film. Amour sur place ou à emporter hisse le placement de produit à un niveau réellement impressionnant. A la marque bien visible au détour d’un plan se substitue la marque comme décor sur-visible pour le film. Ici une célèbre marque de café à emporter n’est pas seulement extrêmement voyante à l’écran – les Parisiens pourront même aisément identifier l’adresse précise – mais de toutes les bouches. Pub géante à tel point qu’on s’attend à voir en débarquer le logo dans le générique de fin. Ce n’est peut-être pas une si mauvaise chose. La réalisatrice pourra toujours essayer d’écouler les DVD du film dans le café en question. Pour neuf boissons achetées, Amour sur place ou à emporter offert ? La franchise devrait y réfléchir à deux fois : vu la qualité du film, elle risque même d’y perdre des clients.
 

Titre original : Amour sur place ou à emporter

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Durée : 85 mn


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