Alita: Battle Angel

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Empouvoirement féministe ? oeuvre bâtarde ? Par sa démesure, Alita: Battle Angel échappe à toute détermination simpliste

Hasard du calendrier, l’auteur de ces lignes a vu, à une semaine d’intervalle, Aliens le retour (1986) et Alita : Battle Angel. Quelque chose l’a frappé : la manière dont ces deux films, réalisés par des hommes (James Cameron à la réalisation du premier et à la production du second, Robert Rodriguez à la réalisation de ce dernier), envisagent l’empouvoirement féminin.

 

Empouvoirement féminin…

On mesure les progrès du féminisme accomplis en trente ans de culture populaire, même si le poids du male gaze demeure. Dans Aliens le retour, l’empouvoirement échoue entre les mains de Ripley plus qu’elle ne s’en saisit. Après l’embuscade des aliens qui décime l’équipage, elle devient par défaut la seule personne compétente à bord et donc la commandante informelle de l’expédition. L’empouvoirement féminin naît des ruines d’une virilité littéralement mise en morceaux. La trajectoire d’Alita est l’exacte inverse : naïve et surprotégée par un entourage masculin – son père adoptif, le docteur Ido Dyson (Christoph Waltz), son premier amour, Hugo (Keean Johnson), le patron du Motorball à Iron City, Vector (Mahershala Ali)… – au début du film, elle s’en émancipe progressivement à la seule force de ses bras. Ingénue caricaturale lors d’une première demi-heure poussive, elle s’accomplit en fin de compte en tant que Valkyrie de l’avenir. Premier opus de ce qui semble une future saga, Alita : Battle Angel conte la création d’une nouvelle figure proto-révolutionnaire.

Alita se situe au croisement de deux influences. D’une part, les « femmes fortes » des années 80-90 (Ellen Ripley dans Aliens, Sarah Connor dans Terminator (1984)…), réactualisées au début des années 2010 par les sagas adolescentes comme Hunger Games (2012) et Divergente (2014). À l’instar de Katniss Everdeen et son arc, on peut parier que l’image d’Alita brandissant son épée se transformera en icône populaire. D’autre part, Alita : Battle Angel adaptant le manga Gunnm de Yukito Kishiro, le film puise dans bon nombre d’héroïnes nippones de la même décennie : Akira, Major dans Ghost in the Shell, lui-même réadapté pour Hollywood il y a deux ans… Des femmes indépendantes de facto, dont l’empouvoirement passe par la maîtrise martiale de leur corps.

 

… et féministe ?

À la confluence de ces deux sources émerge un personnage hybride, un cyborg cinématographique : Alita. À la tradition américaine, elle emprunte le caractère révolutionnaire. À la tradition japonaise, l’art de la guerre et la puissance des sentiments. Contrairement à Katniss ou Ripley, personnages froids, Alita brûle de passion. Sa niaiserie, qui dans un premier temps agace par sa mièvrerie, se révèle par la suite une force redoutable : l’amour qu’elle porte à ses proches et son sens de la justice très terre-à-terre se transmuent en puissance subversive au sein de la société corrompue d’Iron City.

Pour autant, Alita : Battle Angel est-il une œuvre féministe ? L’empouvoirement féminin n’en est pas nécessairement synonyme. Quelque chose manque à l’accomplissement d’Alita : le renversement du patriarcat. Sa force physique et sa détermination morale se mettent avant toute chose au service des hommes qui la protégeaient et que dorénavant elle se charge de protéger. Au lieu de renverser une institution délétère, elle accroît sa propre puissance pour mieux la consolider. Le male gaze tient office de garde-fou.

 

 

L’initiation au prix du monde

Mais assez parlé d’Alita. Parlons du reste. Et… ça coince. De reste, il y en a si peu. En-dehors du personnage principal, on apprend presque rien de la vie quotidienne à Iron City au XXVIe siècle, trois siècles après l’Effondrement de la civilisation terrienne. Quel dommage, au vu des promesses graphiques d’un tel univers, qui renouait enfin avec l’esthétique cyberpunk après une décennie de smart SF ! Focalisé au plus près de la (re)construction de son héroïne, le récit oublie d’en regarder les à-côtés, de mettre en lumière les détails qui rendent un monde cohérent. Alita : Battle Angel se fourvoie de la même manière que les récents Les Animaux fantastiques : Les Crimes de Grindelwald (2016) et Mortal Engines (2018) (avec qui il partage l’esthétique post-apocalyptique). Des univers bouillonnant d’effets spéciaux numériques se referment sur eux-mêmes car ils rejouent une énième fois le classique récit d’initiation. Le monomythe de Joseph Campbell a la peau dure, alors que de tels mondes se prêtaient volontiers à des expérimentations narratives davantage centrifuges, lorgnant vers la matière-même de l’univers, que centripètes.

Film hybride, quasi-bâtard comme son héroïne, Alita : Battle Angel ne manque ni de grâce, ni de prestance, mais sa lourdeur narrative et ses personnages secondaires caricaturaux le retiennent au sol de la banalité. Gageons que les prochains volets de la nouvelle franchise gagneront en légèreté et en finesse.

 

Titre original : Alita: Battle Angel

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Durée : 122 mn


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