© Pandora Filmverleih
Dans la continuité de La Merditude des choses (2009) et surtout de Steve + Sky (2004), Felix Van Groeningen sait sublimer ses personnages. Comme un écrivain, ils détaillent leur quotidien avec un certain lyrisme, leur donne un objectif, ou tout du moins une constance. Il les nourrit ensuite d’une force capable, dans les pires situations, de dépasser l’envisageable, le raisonnable. Didier, personnage interprété par l’excellent acteur flamand Johan Heldenbergh, est le cœur de Alabama Monroe. Déjà comédien dans la pièce de théâtre dont est inspiré le film, The Broken Circle Breakdown Featuring the Cover-Ups of Alabama, véritable succès en Belgique, il donne à son personnage un air de tragédie, des émotions très brutes, très intenses. Que ce soit dans les scènes de sexe torrides avec Élise, dans sa manière de poser sa voix pour donner une musique bluegrass puissante et émouvante ou dans son rôle de père de famille qui n’arrive pas à affronter la mort, l’acteur est sur tous les plans puissant. Pour compléter ce personnage charismatique, il fallait pour le réalisateur trouver une actrice capable de jouer un personnage féminin attachant et drôle, sexy et profonde. Le choix de Veerle Baetens n’était pas une évidence. L’actrice flamande a interprété l’équivalent de "Ugly Betty" dans son pays. Comment passer d’une actrice télé ridicule à une femme fragile, tatouée et torride ? En ce sens, le réalisateur est épatant. Son casting terminé, le film est tourné en respect de la pièce de théâtre, la musique, essentielle au récit, ne venant que ponctuer, appuyer le mélodrame. Cette musique est juste et ce sont les acteurs eux-mêmes qui s’y collent en interprétant chaque morceau de leur propre voix, entraînés bien avant le tournage par un professionnel, Björn Eriksson.
Même s’il est difficile pour le réalisateur d’évoquer tous ces thèmes, l’amour, la vie, la mort, la parentalité, Felix Van Groeningen use d’un montage à la fois romantique et malin. La rencontre, puis l’amour, puis l’enfant, puis la scène et enfin, la tragédie, le film s’étend en tranches de vie, devient fluide grâce à des sessions sur scène face à un public, le rythme allant crescendo, les émotions aussi. Par un jeu de lumières très réussi, l’atmosphère du film est particulière. À la manière d’un Bertrand Tavernier pour son film Dans la brume électrique (2009) ou encore d’un Jacques Audiard pour De battre mon cœur s’est arrêté (2005), le réalisateur flamand joue sur la corde sensible, les univers sombres mais aussi intenses, des sentiments justes, des poursuites, des mouvements. Depuis que le film est sorti sur les écrans belges, le réalisateur et ses acteurs ne cessent de tourner en chantant à guichets fermés la bande originale, dont l’album est resté plusieurs semaines en tête des ventes. C’est ce que l’on peut souhaiter de mieux à cette réalisation, dépasser le cadre du cinéma pour envahir celui des salles de concert. Alabama Monroe serait-il l’antidote contre la morosité ? En tous cas, le film est un bel hommage à une musique peu connue en France : le bluegrass country.
À lire : l’entretien avec Felix Van Groeningen.