Pariant sur un humour caustique comme garde-fou pour des humanitaires en zone de guerre, Fernando Leon de Aranoa fait un choix audacieux. Le résultat ? Problématique et moyennement convaincant.
Un cadavre humain gorgé d’eau accroché au bout d’une corde est remonté progressivement d’un puits. A quelques mètres avant l’air libre, la corde se rompt, la masse informe et putréfiée retombe dans l’eau noire. Le dernier film de Fernando Leo de Aranoa s’ouvre sur cette scène présentée dans une contre-plongée qui nous confronte immédiatement à la décrépitude d’un territoire qui porte les stigmates de la guerre. Ce corps infesté va motiver les actions du groupe d’humanitaires autour duquel s’articule le film : partir à la recherche d’une corde de meilleure qualité parmi les ruines d’une guerre des Balkans à peine terminée, afin de réussir à remonter ce corps qui a contaminé une source d’eau nécessaire à la population locale. Cette mission réunissant l’ensemble de l’équipe des humanitaires (une chargée de l’analyse de conflits, un expert en logistique, une scientifique en matière d’eau, leur responsable et un interprète) signifie autant l’absurdité de la guerre que le travail trivial mais admirable entrepris sur place par ces derniers pour panser les restes du chaos.
Partant de cet élément scénaristique qui met en place les ressorts narratifs du film en même temps qu’il l’ancre avec véracité dans son territoire exsangue et sinistré, le cinéaste positionne sa fiction sur deux modes : un premier qui se fait donc le tableau au vitriol de la situation et de ses décombres, ainsi que de l’accomodation que tentent d’apporter les humanitaires, dont on sent qu’il est documenté à ce sujet ; un second mode davantage articulé autour des personnages, des personnalités de chacun, de leurs vies privées accolées à leur mission. C’est dans cette dernière articulation que vient se loger l’humour, l’ironie et une forme de légèreté choisis comme moteur du film par Fernando Leon de Aranoa (jusque dans l’ironie du titre) et qui servent de garde-fou à la situation. Les deux modes fonctionnent ainsi ensemble lorsqu’ils touchent juste et arrivent à la fois à désamorcer la violence dépeinte, son absurdité, par un ton caustique, tout en maintenant sa force de déflagration. Ainsi B (Tim Robins) et Sophie (Mélanie Thierry) hésitent longuement lors d’un parcours en voiture : un cadavre de vache a été amené au travers d’un chemin, potentiellement miné, faut-il le contourner par la gauche ou par la droite pour éviter de sauter ? A Tim Robbins, le gai luron du groupe, de surjouer le dilemme aux côtés de la novice et paniquée Mélanie Thierry. Même type de mélange de registres lorsque la corde qui pourrait enfin les aider à accomplir leur tâche se trouve attachée à un chien enragé et furieux abandonné sur l’un des villages décimés par la guerre. De tels scènes réussissent le tour de force de détourner la tragédie du quotidien, de la rendre "vivable", sans en effacer ses implications. Le recul de légéreté sert de respiration pour les humanitaires dont, comme a pu l’exprimer le cinéaste, le fait même de rester sur place, de faire acte de présence et d’accompagnement, est déjà faire montre d’une aide significative.
Cependant, hormis quelques exemples réussis comme ceux-ci, le film échoue dans la mise en scène des « à-côtés personnels » de chacun, en dépit d’acteurs plutôt intéressants dans leurs rôles respectifs (Benicio del Toro en tête). Lorsque les affaires sentimentales de Mambrù et Katya viennent décentrer le point de vue du film jusque-là focalisé sur le quotidien de guerre ; ou encore lorsque B double gaiement sur de la musique rock punk des camions de militaires, on sent que la légitimité de vouloir ajuster le tragique d’un état des lieux à des vies personnelles distinctes ne fonctionne pas, comme les percées musicales punk qui parsèment le film (pourtant loin d’être une mauvaise idée). Le cinéaste a évoqué en ces termes son oeuvre : « comme une poupée russe, il s’agit d’un drame à l’intérieur d’une comédie, à l’intérieur d’un road-movie, à l’intérieur d’un film de guerre. » C’est de cette multiplicité instable dont souffre A Perfect day ; qui ne tient bon – hélas – sur aucun de ce mélange des genres. Il peine à en faire un maillage qui pourrait avoir tout son sens. La volonté pourtant audacieuse et judicieuse de montrer la variété de registres qui touche le quotidien des humanitaires se traduit davantage par un déséquilibre, et entraine une gêne face à des dialogues parfois décalés, au risque de poser problème en transformant la guerre des Balkans en seule toile de fond.
Leni Riefensthal (1902-2003), opportuniste sans scrupule, a été une documentariste douée et un « compagnon de route » du nazisme, sans jamais le regretter jusqu’à la fin de sa très longue vie.