A Most Violent Year

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Thriller discret et élégant sur fond de criminalité institutionnalisée dans le New York des années 80.

Dans la séquence d’ouverture du film, Abel Morales (Oscar Isaac, remarqué dans Inside Llewyn Davis) fait son jogging dans les rues glacées de Brooklyn, un matin de l’hiver 1981, l’année la plus violente – statistiquement – de toute l’histoire de la ville de New York. La tête est haute, le regard embué par le froid porté loin devant, là où, de l’autre côté de l’East River, on distingue à peine les tours du quartier des affaires de Manhattan, parangon du rêve américain et quartier encore à l’état de fantasme pour Abel. Lui est immigré de première génération d’Amérique centrale et, alors que la violence et la corruption font rage à New York, il n’a qu’une seule idée : bâtir un empire autour de son business de transport de pétrole, racheté au père de son épouse Anna (Jessica Chastain, parfaite bien que sous-employée). L’histoire le cueille à l’instant où il tente d’acheter un terrain de “terre polluée” au bord de la rivière, tandis que, sur la route des livraisons, les chauffeurs de ses camions-citernes se font attaquer et voler leurs véhicules, retrouvés plus tard, laissés à l’abandon dans des terrains vagues et délestés de quelques centaines de litres de fioul. Au même moment, le procureur général de la ville lance des poursuites contre le secteur et la boîte d’Abel en particulier ; Abel continue de regarder droit devant, et tente de ne pas se laisser aller à l’illégalité.

A Most Violent Year est avant tout une affaire de morale et de cercles de vertu. La trajectoire d’un homme farouchement résolu à rester dans le droit chemin tandis que tout autour de lui (époque, famille, environnement) semble s’enfoncer dans une criminalité de plus en plus institutionnalisée. Troisième long métrage de J.C. Chandor après Margin Call (2012) et All Is Lost (2013), le film travaille lui aussi un phénomène de crise violente (un crash boursier dans le premier, un naufrage dans le second) au cours de laquelle les personnages principaux doivent faire face à des dilemmes moraux. Est interrogée ici la possibilité ou non de continuer à faire son boulot dans les limites du droit et de la légalité au sein d’un système vicié, où le libre-arbitre et l’ambition viennent régulièrement buter sur les arrangements et les compromissions. Humaniste un brin cynique, le cinéaste s’intéresse particulièrement à la vulnérabilité, davatange porté par les vissicitudes existentielles de son héros que par le grand spectacle promis par un scénario de hijacking. Le titre du film serait presque déceptif, tant la violence, si elle est bien prégnante, est largement plus sous-jacente qu’éclatante, et A Most Violent Year bien plus un thriller atmosphérique qu’un action movie haletant calibré pour la course aux Oscars.

 

D’un scénario aussi ténu qu’alambiqué, J.C. Chandor tire un univers nébuleux à distance duquel il se tient ingénieusement, donnant suffisamment de clés pour comprendre les enjeux sans jamais offrir la pleine mesure de tous les tenants et aboutissants. La tension, omniprésente, ne vient pas des scènes en elles-mêmes, plutôt peu riches en événements, mais de la manière dans laquelle elles sont tournées : tel un étau se resserrant, des plans longs et larges, très peu coupés, donnent la jauge de l’asphyxie progressive d’Abel. Une séquence, pourtant, confirme que le réalisateur est aussi à l’aise dans l’action, quand Abel, se trouvant à côté de l’attaque d’un de ses camions, poursuit le ravisseur en voiture d’abord, puis à pied, jusqu’à un face-à-face sur le quai d’un métro aussi musclé que sans surenchère. Cette absence de surenchère est peut-être la limite de A Most Violent Year qui, s’empêchant de sacrifier à toute posture mainstream, s’enfonce parfois dans la simple (et élégante) reconstruction d’époque, à grands renforts de lumières froides d’hiver, de plans patinés de fumée de cigarettes, de Cadillac rutilantes qui filent dans la nuit. C’est très beau et excellement maîtrisé, mais peut-être un rien froid, à l’image du blond platine et des ongles parfaitement manucurés de Jessica Chastain, dont le personnage, le plus passionnant du film, finit par s’effacer derrière le décorum et des situations étrangement désincarnés.
 

Titre original : A Most Violent Year

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Durée : 125 mn


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