A Beautiful Day

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Le duo Ramsay-Pheonix livre une partition étonnante avec A Beautiful Day, crève-coeur au goût amer dont la violence en suspension révèle une beauté inattendue.

A Beautiful Day a été le grand vainqueur du dernier festival de Cannes. Ce film de Lynne Ramsay, dont le montage final, terminé au dernier moment, a été présenté dans les ultimes heures de la compétition, est reparti de la Croisette un prix d’interprétation masculine et un prix du scénario en poche. Si le premier n’est pas une surprise, compte tenu de la solide réputation de Joaquin Phoenix à Cannes, le second en a étonné plus d’un. Sur le papier, A Beautiful Day (anciennement intitulé You Were Never Really Here), n’a en effet rien d’un « film à scénario ». C’est là que ce prix a, aussi, quelque chose de symbolique : la simplicité d’un scénario qui va droit au but peut aussi être un gage d’immenses qualités d’écriture. C’est le cas de A Beautiful Day qui s’inscrit, typiquement, dans une lignée de films aux scénario épurés et à l’écriture très simple, très vive, très directe, sans enchevêtrements boursouflés inutiles.

Douleur de la frustration



Joe, un tueur à gages solitaire et traumatisé par un passé douloureux qui le hante (une enfance compliquée et un passage par la guerre du Golfe), se voit embarqué dans une affaire de prostitution infantile à l’échelle gouvernementale. Complètement dépassé, à la fois par ses souvenirs et par sa situation compliquée (s’occuper de sa mère tout en exécutant un sale boulot), Joe est perdu au point de vouloir côtoyer, volontairement, la mort à de nombreuses reprises : il enroule un sac plastique sur sa tête, exécute la volonté de son commanditaire et n’hésite pas à tuer ou à violenter ceux croisant sa route. Suicidaire, le personnage de Joe répond à celui des derniers films de Joaquin Phoenix, où il incarnait également des stoners ravagés par la vie, tiraillés entre leur famille et l’envie de liberté. Coincé entre deux aspirations différentes, Joe, comme les autres alter-ego de Phoenix, est un éternel frustré.




Beauté de l’interruption


Ce sentiment de frustration va se révéler, petit à petit, comme étant le coeur véritable du film. Loin d’aboutir à la débauche de violence à laquelle on pouvait pourtant s’attendre au départ, A Beautiful Day est un film interrompu. Joe ne peut, ni finir son travail, ni terminer sa quête rédemptrice. À chaque fois, il est devancé et en retard, alourdi par un boulet (les souvenirs de son passé, montrés de manière subliminale dans le film) qui lui fait traîner lentement sa carcasse bedonnante et abîmée. De cette sensation de retard et de frustration émergent les plus grandes scènes du film, qui se transforment en tableaux saisissant, d’une beauté marquante et insoupçonnée. Enfin, il y a quelque chose ! L’apathie filmique courante, souvent trop théorique, laisse ici place à une beauté suspendue, plus viscérale que cérébrale.




Violence en suspension


Par contraste, A Beautiful Day est à la fois un film brutal, violent, âpre, mais aussi touchant, sensible et émouvant. Joe est désarçonné, en perdition, sa carcasse erre sans but ni conviction, jusqu’à ce qu’il trouve, enfin une raison de se battre : sauver l’enfant malmené, celui qu’il a lui-même été. C’est ce qui fait que ce film de Lynne Ramsay peut, sans surprise, être comparé au Taxi Driver de Scorsese. Une vendetta est menée pour se racheter, à un moment où un vétéran de guerre vire au nihilisme. En réalité, au delà de l’inspiration évidente qu’a suscité le chef d’oeuvre poisseux de Scorsese, ce film a plus à voir avec Drive ou Only God Forgives qu’avec Taxi Driver : A Beautiful Day montre à quel point le cinéma de Nicolas Winding Refn a infusé, petit à petit, une bonne partie du cinéma contemporain. Dans A Beautiful Day, cette même idée de violence « en suspension », c’est dans le silence, dans la lenteur et dans le mutisme que s’expriment les plus vives douleurs.

Titre original : You Were Never Really Here

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Durée : 90 mn


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