5 films de Roberto Gavaldon

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Au coeur de l’oeuvre filmographique de Roberto Gavaldon se bousculent les obsessions extravagantes et les désirs obnubilés de ses protagonistes dans l’expression d’un kitsch ébouriffant porté à l’incandescence d’une flamboyance mélodramatique. “Les films du Camélia” nous offre l’opportunité de nous projeter dans son univers post-expressionniste à l’occasion du mini-cycle que ce distributeur lui consacre.

Aussi bas qu’il soit tombé, un homme peut toujours s’enfoncer encore; aussi terrible que soit son calvaire, il pourrait en supporter un encore pire.” (B.Traven)

Une cinématographie mexicaine naturellement florissante

La décade de l’après-guerre vient conforter l’apogée de l’âge d’or de la cinématographie mexicaine (1930-1955). Une industrie particulièrement féconde émerge sous l’influence prépondérante de cinéastes espagnols exilés tels Luis Bunuel par excellence. Dès lors, sa prodigieuse efflorescence calque son développement sur le modèle de l’usine à rêves hollywoodienne tout en cherchant à s’en émanciper. Afin de rivaliser avec leurs homologues américains, les studios mexicains initient leur propre star-système selon une iconographie distincte de vedettes féminines (Maria felix, Dolores del Rio) et masculines (Pedro Armendáriz, Arturo de Cordova).

L’industrie cinématographique mexicaine met à l’œuvre sa propre production en la consolidant avec ses valeurs, son éthique et l’affirmation de la mexicanité dans un syncrétisme religieux.

Roberto Gavaldon, chantre du mélodrame passionnel

Touche -à -tout des métiers du cinéma dont il fait l’apprentissage, Roberto Gavaldon se découvre une vocation sur le tas à Hollywood ; assurant sa subsistance en faisant des figurations ou en tant qu’assistant sur les productions hispaniques. Il est accessoirement videur de cabaret avant de revenir au pays pour tenter sa chance dans l’industrie du film de Mexico soudainement florissante.

Il s’associe à un écrivain marxiste dissident, José Revueltas, qui devient son scénariste attitré. Le cinéma de Gavaldon flirte alors avec l’expressionnisme allemand d’un Siodmak ou d’un Von Sternberg. Il y ajoute une touche personnelle
d’émotion crue et de passion sensuelle typiquement ibérique dans les épanchements du coeur.

 

 

 

Noirceur et névroses obsessionnelles

Dans ces mélodrames passionnels, la noirceur devient un leitmotiv. Les âmes brisées y sont tout aussi mortifères que le poison d’amour et le chemin vers l’enfer est pavé d’intentions malveillantes à l’éclat aussi sombre que les atours de la séduction sont aguicheurs.

Le meilleur de son cinéma se polarise sur des protagonistes atypiques au caractère dual qui refoulent leurs désirs indomptés. Personnages tourmentés par leurs vieux démons ou de nouveaux errements, ils souffrent d’un dédoublement caractérisé de personnalité qui les retranche ou les exclut de la société tout en les emmurant et les
isolant dans leurs névroses obsessionnelles.

Très inspiré des codes esthétiques du film noir américain des années 40 sans en être pour autant une copie carbone, le mélodrame urbain de Roberto Gavaldon, pendant du mélodrame rural d’Emilio Fernandez, se démarque pour ce qu’il emprunte à la tragédie lyrique et au grand opéra dont le cinéaste serait l’ordonnateur et José Revueltas, le librettiste. Constamment tourmentés sous l’emprise de leur passion autodestructrice, les protagonistes donnent
l’impression de “tomber en vrille” comme un avion hors de contrôle, sous le poids des tourments.

Dans La nuit passe, Pedro Armendariz, souvent célébré pour son incarnation du meilleur de la masculinité mexicaine, trouve un exact contre-emploi dans ce rôle infâme d’une célébrité nationale de pelote basque ; arrogant et insupportable d’outrecuidance affichée. Quand il n’est pas dans les trinquets à parader comme un paon et renvoyer la pelote sur les frontons avec sa chistera, il joue les fiers-à-bras, fait le joli coeur et manipule à outrance ses conquêtes féminines. Devenu “homme fatal” selon le principe érigé par lui-même qu“il vaut toujours mieux pour une femme être la cinquième roue du carrosse d’un homme viril que tout accepter d’un homme faible”. Il hâtera sa déchéance et finira par s’enfoncer dans un machisme toxique et tomber sous le joug de la pègre locale pour mourir de la main de celle qu’il a enfanté et qu’il a sciemment délaissé.

 

Démesure du décor, exagération des sentiments et érotisation du désir

Gavaldon éprouve un attrait de prédilection et une préférence marquée pour les lieux sanctuarisés aux amples proportions : manoirs et demeures seigneuriales, cabarets. Il y imprime de façon expressive la splendeur déchue de ses personnages dans une forme outrancière de démesure et d’exagération des sentiments, d’extravagance des affects et d’érotisation du désir.

Le fatum tragique des protagonistes est écrasé sous la pompe et l’apparat de vestibules majestueux où se déploient des mouvements d’appareil élaborés qui matérialisent leurs affres . Ainsi dans Double identité, La déesse agenouillée et Mains criminelles, le décor kitsch emprisonne les personnages livrés à eux-mêmes dans leurs errements obsessionnels. Son éclat tapageur, bien loin d’étouffer le drame, l’intensifie à tel point que le lieu se mue en tombe funéraire.

Dans La déesse agenouillée auquel fait écho La comtesse aux pieds nus de Joseph Mankiewicz, le kitch assumé de la réalisation de Gavaldon est poussé à son paroxysme d’inventivité. Arturo de Cordoval est acculé au meurtre afin de résoudre sa passion extra-maritale pour la bombe sexuelle qu’est Maria Felix dont il a commandité un nu sculptural à son effigie. Depuis la cellule où il a été incarcéré pour le meurtre présumé de sa femme impotente, il apprend trop tard qu’il a été innocenté. Une conscience coupable et le fait d’avoir avalé une capsule de cyanure ont eu raison de son ébranlement psychologique. Passé maître dans le portrait d’hommes enfermés dans leurs contradictions, Arturo
de Cordova se retrouve dans une impasse. Gavaldon superpose la pièce montée du gâteau de mariage à la statuaire effroyablement kitsch de sa maîtresse qui préfigure sa déchéance inéluctable.

Double identité renvoie à “la double énigme” de Siodmak de par la gémellité criminelle que le film met en exergue, Dolores del Rio apprend trop tard qu’elle aurait pu hériter du pactole si elle avait joué le jeu et su garder la main dans “la partie de bonneteau » virtuelle qu’elle a cru bon engager avec sa soeur de sang, son double en négatif. En d’immenses ombres portées des barreaux du lieu carcéral où elle va croupir définitivement pour avoir supprimé sa soeur, la photo en clairs-obscurs denses donne un tour d’écrou définitif et scelle son sort pour toujours. Adornés jusqu’à la surcharge, les intérieurs se retournent contre les protagonistes qui se piègent eux-mêmes dans une implacable descente aux enfers.

Dans Mains criminelles qui vient en miroir de Le charlatan d’Edmund Goulding, Arturo de Cordova, toujours lui, exerce une activité de faux médium. Il officie dans son antre grâce aux tuyaux de sa complice rabatteuse, manucure de son état .Avec elle, il monte méthodiquement une arnaque pour attirer de vieilles douairières esseulées. Le décor retient toutes les grosses ficelles et les clichés du faux mage: les néons de son officine et la formule “abracadabra”
inscrite de façon récurrente dans le cercle des signes zodiacaux comme pour souligner l’imposture. Le voyant qui n’a rien d’extra-lucide devient à son tour le dupe d’une femme fatale (Dolores del Rio). Ce faisant, il hâte son exécution en “dressant sa propre potence” tout en bredouillant des paroles incriminantes alors qu’il est conduit à identifier un corps à la morgue censé l’ exonérer de son crime supposé.

Gavaldon écrase ses personnages en quête de rédemption sous le poids de la culpabilité même quand ils ne sont pas responsables des crimes qui leur sont imputés. Il balaie à distance leurs destinées passionnelles dans des mouvements d’appareil sophistiqués réhaussés par la direction de la photographie d’Alex Phillips et de Figueroa en
contraste avec l’univers claustrophobique et psychologique qu’il dépeint.

 

Mais c’est certainement dans Jours d’automne que Gavaldon confine au meilleur de sa production. Dans ce thriller psychologique, il autopsie, avec la palette de sentiments la plus ténue qui soit, la mythomanie de Luisa (Pina Pellicer), jeune provinciale crédule, conduite à migrer pour trouver du travail dans une pâtisserie de Mexico. Elle s’entiche d’un
homme présentant toutes les apparences de la probité ; mais qui, déjà marié, l’abandonne tristement à son sort au seuil de l’hyménée. Pour sauver les apparences et conserver sa dignité dans cette ville en mutation qu’est Mexico, elle feint de vivre en couple et s’invente une grossesse.

Entre les mains expertes d’artistes résolument au sud de la frontière des Etats-Unis tels que Roberto Gavaldon et Emilio Fernandez, les conventions hollywoodiennes pèsent de peu de poids. Roberto Gavaldon s’en affranchit ici pour nous entraîner dans les “cadavres exquis” de ses froides mystifications. A découvrir sans modération…

A l’affiche de ce mini-cycle à partir du 15 décembre en salles : Double destinéeLa déesse agenouilléeMains criminellesLa nuit avanceJours d’Automne. (Les films du Camélia)

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