Viva la Muerte. Pour la première fois en France le film en Dvd/Blu-ray aux éditions Montparnasse.

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Oppresseurs no pasaran !

Sous le régime franquiste, Fando, un garçon d’une dizaines d’années, cherche à comprendre les raisons de la disparition subite de son père. Il apprend par sa mère la terrible vérité : celle-ci l’a dénoncé au régime comme « rouge », antifasciste.  Bouleversé, Fando va mener son enquête afin de savoir où son père se trouve. Le jeune garçon, subissant la haine, la censure, la violence, la religion, l’hypocrisie, va sublimer son sentiment désormais ambigu et sa détestation du régime autoritaire en place par des délires, des fantasmes de diverses natures.

Tiré de son roman quasi autobiographique Baal Babylone (paru en 1959), auteur d’une œuvre prolifique, Arrabal signe ce film détonant sous de mauvais auspices. Né en 1932 en Espagne, Fernando Arrabal connaîtra peu son père, résistant de la République emprisonné par les franquistes. Sa mère lui inculquera une éducation sévère, dominée par la religion. Un lourd passé familial, d’autant plus pesant que son père, qui s’évadera des geôles du Caudillo en 1942, ne lui donnera aucun signe de vie par la suite. Arrabal, persona non grata en Espagne, son pays natal où il subit l’emprisonnement en 1967 après son pamphlet Lettre au général Franco, mais français d’adoption, tourne ensuite en réaction ce film via une co-production franco-tunisienne dont il va tirer avantage lors de son tournage à Hergla, localité tunisienne, avec ses habitations aux lits et rangements creusés dans les murs, avec ses coutumes particulières (combats de béliers, saignées volontaires), et de magnifiques extérieurs sur les routes désertiques.  Viva la muerte, censuré en Espagne, en Tunisie (!), est interdit ensuite en France jusqu’en 1981. Néanmoins, ce long-métrage connaît entretemps un vif succès outre-Atlantique grâce à John Lennon, déjà féru des films de Jodorowsky. Lennon va faciliter la distribution aux USA du film qui devient rapidement culte dans les salles new-yorkaises.

 

Visionner Viva la muerte requiert une immersion préparatoire, une initiation formelle, celle du générique de début, un générique illustré par Topor qui nous propose une vision boschienne d’êtres difformes, torturés, à la corporéité aléatoire, transpercés, éventrés, dévorés, par des instruments et des monstres variés. Un monde onirique, mais cauchemardesque, dans une nature difforme, où même la crucifixion est parodiée. Des fragments de cette fresque parcourront le film, comme un leitmotiv iconique. La comptine nordique Ekkoleg accompagne notre visite de cette nef des fous au jugement dernier. Un contraste qui en annonce de multiples.

Dès la scène d’ouverture, au cours de laquelle Fando croise sur une route un véhicule de soldats lance « Viva la muerte ! », ce cri de ralliement franquiste pendant la guerre d’Espagne, accompagné ici par un discours tyrannique (« Les traîtres seront poursuivis implacablement. Si nécessaire, nous tuerons la moitié du pays ! »), notre protagoniste entrera en rébellion contre l’aliénation religieuse, familiale, politique, via des visions fantasmatiques qui constitueront des contre-arguments, des repoussoirs contre ces modèles subis mais acceptés par ses proches, contre cette hypocrisie bigote dont la mère, responsable de la disparition du père, devient la figure de proue. Filmées en couleurs qui les débordent, telles des coloriages d’enfants, ces représentations imaginées par Fando sont crues, brutales, agressives, parfois hors des limites tolérées par les spectateurs d’un film classique : mortifications corporelles, animaux abattus convulsant dans une mare de sang où la mère de Fando se complaît à évoluer, humiliations scatologiques (la mère déféquant au-dessus d’une cage où se trouve le père) et verbales (« Ton père n’était qu’un sale rouge ! »), tortures, fusillades, hallucinations incestueuses avec la mère et la tante Clara. Fando va jusqu’à imaginer, dans une séquence drolatique, inonder, voire noyer des représentants de l’autorité, en urinant au sommet d’un phare qui domine la ville. Un espace-temps plein de bruit, de sang, de sexe, de cri, et de fureur.

Nous retiendrons de ce film brut plusieurs figures : celle de la mère adorée et détestée, pieuse et souvent aimante mais morigénant parfois son fils tout en blâmant le père trahi; celle de la tante Clara qui représente une sexualité et une sensualité débordante, voire une animalité lorsque Fando l’imagine se nourrissant, puis se baignant,  d’un énorme plat de spaghetti dégoûtant en sa compagnie. Le grand-père représente une autre forme, réelle celle-ci, de résistance : peu enclin à la pieuse hypocrisie familiale et féminine, il construit un petit théâtre en hommage au père de Fando, où des figurines de bois et un décor de prison représentent une situation suscitant l’espoir du jeune garçon quant à la survie de son père. Face aux êtres humains, mais souvent dépourvus de compassion, Arrabal développe un bestiaire accompagnant les douleurs, les fantasmes, mais aussi les recherches de Fando : insectes caressés ou croqués, bovins saignés, et surtout ce dindon, compagnon d’une fillette appréciant Fando, gallinacé témoin de la quête du garçonnet. Arrabal, disciple du surréalisme, membre fondateur avec Topor et Jodorowsky du groupe Panique en France en 1962, rend ici hommage, tout en l’adaptant à sa manière, au Buñuel du Chien andalou, mais aussi de Sierra de Terruel.

 

Grâce au travail de restauration accompli en 2022 par la Cinémathèque de Toulouse avec le négatif d’origine en 35 mm, et d’autres éléments, restauration à laquelle Arrabal a participé activement, le son étant rénové par le studio L.E. Diapason, Viva la muerte nous est désormais proposé par les éditions Montparnasse dans une copie impeccable qui rend à ce poème de colère toute sa vigueur. Un poème surréaliste dans lequel l’enfant assiste à l’exécution de Federico Garcia Lorca dans un cimetière sous le regard amusé de veuves sadiques, voire sadiennes.

Face à l’oppression franquiste qu’il a connue, Arrabal réplique par un mouvement de Panique libérateur.

« No pasaran ! »

 

Dvd et Blu-ray dans une version entièrement restaurée. Aux éditions Montparnasse.

Titre original : Viva la Muerte

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Durée : 89 mn


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