Scary Stories

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Un film d’horreur plus profond qu’il n’y paraît sous ses oripeaux convenus. Un supplément d’âme qui doit beaucoup à Guillermo Del Toro, producteur et co-scénariste du film.

Qu’offre Scary Stories à son spectateur, au-delà de la promesse roborative de son titre ? Au premier abord, pas grand-chose d’original. En tout cas, rien qu’on n’ait déjà humé dans une multitude de films ou séries états-uniens récents.

Les clichés s’enchaînent en effet comme des perles : un groupe d’adolescents ; une petite bourgade états-unienne en 1968 (date loin d’être anodine, on y reviendra) ; des pavillons familiaux ; un drive-in ; une ferme entourée d’un champ de maïs ; un manoir abandonné aux allures de maison hantée. Bref, toute une topographie ultra-référentielle, lourde de fragrances nostalgiques et de fétichisme geek. Tissant sa toile entre tous ces lieux iconisés jusqu’au stéréotype : une série d’évènements horrifiques, liés à une mystérieuse malédiction. La bande d’amis devra se confronter aux origines du mal, au fil d’une série d’épreuves où chacun tentera de survivre à la matérialisation de sa pire hantise. On aura reconnu, dans les grandes lignes, la trame de nombreux films de genre, tel le récent Ça : Chapitre 1 (Andy Muschietti, 2017). Notons cependant que ce n’est pas Stephen King qui a inspiré Scary Stories, mais Alvin Schwartz, auteur d’une série de livres cultes aux États-Unis, dont plusieurs passages ont été réécrits et compilés en un tout homogène pour l’écriture du scénario – un travail d’adaptation plutôt réussi, si l’on en juge par la fluidité narrative du résultat.

 

Une anthologie soignée mais un peu déceptive

Sous la ligne claire de son scénario, Scary Stories se présente ainsi comme une sorte d’anthologie de l’horreur, reflet fidèle à défaut d’être exhaustif d’une mythologie cinématographique déjà ancienne de plusieurs décennies, essentielle dans la culture populaire des États-Unis. Cet imaginaire a puisé à de nombreuses sources, notamment anglo-saxonnes (la littérature gothique, les films de la Hammer ou autres classiques de l’épouvante, la filmographie d’Alfred Hitchcock, en premier lieu Psychose (1960), etc.) avant de se cristalliser dans des œuvres matricielles telles que La Nuit des morts-vivants (Georges A. Romero, 1968). Il se trouve qu’en un geste de mise en abyme savoureux quoique peu original, c’est justement ce film charnière qui est diffusé au drive-in où, vers le début du film, les adolescents en fuite rencontrent Ramón, un garçon Mexicain qui va rejoindre leur groupe. Après quoi, se réfugiant dans un manoir abandonné, les jeunes gens mettent la main sur un livre ancien, dont la lecture permet à ses histoires cauchemardesques de prendre vie.

Sur la base de ce postulat, André Ovredal, réalisateur norvégien déjà auteur du très efficace The Jane Doe Identity (2016), orchestre avec un sens impeccable du cadrage et du montage une succession de scènes remarquables pour leur imagination visuelle et le design de leurs créatures (on n’est pas près d’oublier la séquence de l’hôpital). Cependant le film, sans être dénué de suspense et de tension, pourra décevoir les amateurs de sensations fortes et de vertiges métaphysiques. Moins efficace que The Conjuring (James Wan, 2013), moins poignant que It Follows (David Robert Mitchell, 2014), moins choquant et glacial que Hérédité (Ari Aster, 2018), Scary Stories semble vouloir composer avec un public familial, et joue sur la ligne de crête entre l’horreur sur-promise à ses personnages et à son public, et les impératifs d’un film fédérateur, plutôt convenu, se refusant aux jump scares outranciers comme aux visions trash ou explicitement sexuelles. A cet égard, Scary Stories se situe bien en-deçà de l’éblouissant et hiératique Midsommar (Ari Aster, 2019) sorti en salles quelques semaines plus tôt ; il n’arrive guère à la cheville non plus de l’horreur organique de The Jane Doe Identity. D’où le risque d’une certaine tiédeur consensuelle où se diluerait ce film vintage et soigné. Risque pas totalement conjuré, certes, mais en partie contourné : c’est qu’à notre sens le véritable épicentre de Scary Stories se situe ailleurs que dans sa seule efficacité horrifique ou sa puissance visionnaire.

 

La patte Del Toro

A ce stade, il apparaît essentiel de rappeler que Scary Stories doit son existence à Guillermo Del Toro, impliqué sur le projet depuis 2016 en tant que producteur et co-scénariste. Le cinéaste mexicain, oscarisé pour La Forme de l’eau (2018), a coutume de développer un propos social et politique renforçant l’écho des récits aussi haletants que fantaisistes qu’il livre en pâture à son public. Scary Stories, même s’il n’est pas directement réalisé par Del Toro, s’avère fidèle à ce principe. Ainsi l’ancrage du film en 1968 fait sens à plusieurs niveaux. Comme on l’a vu, il s’agit d’une date importante dans la culture populaire états-unienne, avec la sortie du film de Romero. Plus encore : à notre sens, une bonne partie de ce qui demeure de plus inventif, de plus vivant dans la production cinématographique contemporaine des États-Unis plonge ses racines dans cette époque-là, bien plus que dans les années 1980 actuellement ressassées (du Ça : Chapitre 1 déjà cité à la série Stranger Things produite par Netflix).

C’est que les eighties marquent en réalité le triomphe d’un formatage et d’un mercantilisme cinématographiques plus aigus qu’aucune période n’en avait jamais connus – une décennie en cela tristement annonciatrice de la nôtre. Au contraire, la fin des années 1960, plus inconfortable, se signale par une effervescence créative propre aux époques de transition, et se situe à la convergence de fortes prises de conscience collectives dont les révoltes étudiantes ne constituent qu’une des pointes émergées. Ce qui se traduit aussi par un changement radical de paradigme cinématographique, avec la fin d’un âge d’or hollywoodien marqué par la toute-puissance des grands studios et de leurs règles puritaines (l’application du code Hays cesse en 1966).

Or, 1968 est aussi l’année du point culminant de la guerre du Vietnam (que fuit le personnage de Ramón après le massacre de son frère mobilisé) et de l’élection présidentielle américaine qui verra la victoire de Richard Nixon (ce que rappellent tout au long du film des plans récurrents sur des écrans TV allumés). Autre indice des mentalités d’alors : Ramón, en tant qu’étranger, suscite la méfiance des autorités locales, qui le soupçonnent des premiers meurtres ; le racisme et la peur grouillent sous les apparences idylliques de la petite ville. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si une partie de l’histoire de celle-ci, déterrée vers la fin du film, révèlera une cupidité familiale meurtrière. Autant de propos politiques et engagés que Del Toro se plaît à distiller et qui résonnent de manière aiguë avec l’actualité contemporaine.

Mais c’est sur un autre plan que Scary Stories prend à nos yeux une envergure supérieure, qui fait la synthèse entre sa dimension horrifique et son propos politique. Comme Le Labyrinthe de Pan (2006), œuvre la plus emblématique de Del Toro, Scary Stories est d’abord un film qui célèbre les puissances de la fiction et de l’imaginaire, capables de dépasser les injustices humaines par la grâce d’une sublimation cathartique – peut-être utopique, mais galvanisante et rédemptrice. A cette aune, le personnage de la jeune Stella Nicholls est particulièrement touchant. Passionnée par une culture populaire alors encore marginale, et repliée sur elle-même du fait d’un drame familial, c’est pourtant elle qui, par sa perspicacité et son courage, mettra en lumière la véritable histoire du livre maléfique et sauvera Ramón, ce jeune Mexicain dont la rencontre l’ouvrira au monde, à ses propres sentiments amoureux, et à sa vocation littéraire. L’idée simple et forte qui anime Stella et constitue le cœur vibrant du film est clairement formulée à trois reprises : « Les histoires nous blessent. Les histoires nous soignent. A force de les répéter, les histoires deviennent réelles ». On dirait une profession de foi.  Ambivalente ? Bien sûr. Naïve ? Moins qu’il n’y paraît, pour peu que l’on songe au poids auto-réalisateur des stéréotypes qui façonnent insidieusement nos regards, nos comportements, donc au final la réalité même. Dès lors, l’enjeu revient non pas à renoncer aux histoires – elles s’imposeront quoi qu’il arrive, potentiellement sous leur pire forme, mensongère et simplificatrice – mais grâce à une prise de recul salvatrice, à choisir lesquelles doivent guider notre vision du monde, nos rapports à nous-mêmes et aux autres.

Cette foi dans les pouvoirs de la fiction est précisément ce qui, sous les poncifs, rend Scary Stories à ce point incarné. Si ce film limpide et auto-réflexif ne possède pas la richesse et l’ambiguïté du Labyrinthe de Pan, il n’en rayonne pas moins d’un amour sincère pour ses personnages et pour leur fragilité, que ceux-ci soient soumis aux frémissements les plus intimes de leur psyché ou aux secousses tectoniques de l’Histoire. D’où un film certes imparfait mais attachant jusque dans ses faiblesses.

 

Titre original : Scary Stories to Tell in the Dark

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Durée : 111 mn


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