Le point de départ est l’enterrement du célèbre écrivain Victor Adelman (Nicolas Bedos) et des confidences que suscite cette disparition à sa compagne de toujours, Sarah (Dora Tillier). La question sera la place de l’épouse dans la réussite du grand homme : muse stimulant la création, amante apaisante favorisant l’inspiration ou présence aussi rassurante qu’invisible ? La réponse sera plus complexe que cela et ne ménage aucun des deux personnages. Nicolas Bedos s’amuse ainsi de ses douleurs passées et du narcissisme qu’on lui prête avec le caractère tourmenté de l’aspirant écrivain Victor. Ce dernier est si autocentré et frustré qu’il ne sait que se plaindre, hurler sa haine du monde et rester totalement indifférent à la fascination qu’il exerce sur Sarah. La caractérisation joue par l’excès pour illustrer cela, le comique vachard dévoilant la goujaterie de Victor tandis que la stylisation des tenues changeantes de Sarah, sous le prétexte vintage, sert en fait son amour inconditionnel et toutes les identités à prendre pour enfin capter l’attention de son homme. La nature de muse fonctionne en opposition à l’entourage de Victor, la jeune fille moderne et rebelle ayant un attrait pour bousculer une famille bourgeoise traditionnelle de droite portée par un Pierre Arditi survolté en patriarche réac – quand à l’inverse la première tentative échouera avec Sarah en étudiante à l’intelligence castratrice pour le créateur mal dans sa peau. Nicolas Bedos montre donc un couple se compléter faussement au détriment de l’effacement assumé de Sarah. L’épanouissement artistique de l’écrivain se fait par un égo envahissant, une vampirisation de l’autre qui ira jusqu’à s’approprier son identité juive et son passé dans un rebondissement étonnant. Là aussi la comédie de situation et le point de vue double constant (par la voix-off ironique de Sarah ou des situations revisitées comme une première nuit d’amour maladroite) amène un décalage amusé. La construction en chapitres se moque ainsi à chaque fois des personnages en les inscrivant dans leur époque avec un brio formel certain, voir l’épisode « La Thune » et son portrait croquignolet des nouveaux riches de la France Giscardienne.
Les concessions initiales se distendent au fil des décennies et provoquent les problèmes de Victor et Sarah. Malgré un propos et une esthétique très éloignée, on peut ainsi penser aux hommes omnipotents et immatures des films de Claude Sautet ou Yves Robert des années 70 qui se trouveraient bousculés par l’émancipation de la femme. La frime tapageuse saupoudrée de coke des années 80 est une autre manière de faire retrouver l’attention de son mari pour Sarah avant l’apaisement et l’indépendance des années 90. A chaque ère ces caractéristiques qui relancent les cartes, la prise de conscience et la frivolité changeant de camp en permanence. Nicolas Bedos évidemment à l’aise en trublion égocentrique et anxieux montre une profondeur touchante au fil du récit, reposant de moins en moins sur les effets comiques marqués. Doria Tillier, pour son premier rôle au cinéma, est tout aussi épatante par cette passion dévouée, soumise, agacée mais jamais vraiment éteinte pour son homme. Ces va-et-vient de l’amour ne trouvent pas leur conclusion par une énième dispute/séparation mais par les effets inéluctables du temps. Le comique grinçant et osé (voir le traitement des enfants, du benêt rejeté à la fille à papa insupportable) ne s’estompe jamais totalement mais l’émotion de la dernière partie donne une profondeur et une émotion réellement palpable à l’ensemble. Une vraie belle odyssée amoureuse – on saluera au passage l’étonnante qualité du maquillage, une gageure dans ce type de récit – où l’on reprochera juste un « twist » qui surligne ce qui était habilement suggéré dans ce premier film populaire et prometteur.