Tout va trop vite. Cela pourrait être un point faible, ce nest quune évidence. Mesrine est un caïd qui veut tout croquer, les femmes, les banques, les juges, le commissaire Broussard (traité de froussard dans le film), la vie en somme. Cette rapidité dexécution, ce sentiment dinstabilité est la marque de fabrique de Richet, qui cette fois-ci malmène son personnage, les plans, tout ce microcosme et orchestre son groupe avec un bâton dopium qui terrasse en quelques minutes le fou, donc le spectateur. 130 minutes de course effrénée contre la montre, celle du Destin qui file inexplicablement les cartes à Mesrine, qui de son piédestal, observe avec un rictus conséquent. Il faut voir comment lauteur dEtat des lieux, plonge directement sa caméra dans un tournis, une toupie (pour reprendre le mot de Besse/Amalric, lun des complices du truand), qui dévaste tout sur son passage. Mesrine est Icare qui adresse inlassablement un doigt dhonneur au soleil, évitant les pièges du je-men-foutisme et connaissant déjà lissue de cette cavale : la mort !
Fort de ce canevas, Richet va développer une idée géniale et assez osée : ne jamais donner au spectateur le temps de se remettre du plan quil vient de découvrir. Le diptyque est pensé ainsi, et cest en revoyant Linstinct de mort, quon constate la mise en scène de ce filou. Mauvaise idée davoir segmenté ce film-fleuve, car le spectateur caresse une base fondamentalement fausse tout en se disant : « tout ça pour ça ». Je me suis trompé, le premier volet est une uvre qui se bonifie, telle une chanson des Beatles, qui prendrait son sens dans la méticulosité, dans la gestation, dans lair qui repose le regard. Avec Lennemi public n°1, cest un tourbillon des sens, cest une tempête, cest du blues rock, cest les Stones. Comparaison facile, certes, mais qui peut expliquer les raison de Richet (Langmann ?) dans cette coupure. Dun côté, on découvre un homme qui saisit très vite les raisons de sa présence dans cette société, et de lautre, ce même personnage, des kilos en trop, le déguisement à tire-larigot, et la fierté mal placée qui va prendre un malin plaisir à cracher sur tout ce qui bouge. Deux films, deux méthodes pour tuer le temps.
Lennemi public n°1 est une machine qui ne craint pas dêtre comparée avec les polars secs et rapides que la Warner produisait en grand nombre. Il y a beaucoup de James Cagney dans la composition hallucinatoire de Cassel, filmé à hauteur dhomme, cest-à-dire avec un respect et une sobriété exemplaires. Cette scène où son personnage attend patiemment la rançon (Mesrine avait kidnappé un milliardaire) est belle, car Richet stoppe tout et filme sereinement une solitude, un homme fermant les yeux et rêvant à je-ne-sais-quoi. A ce moment-là, on tient le filon : découvrir un gars vivant avec son temps, mais fantasmant sur autre chose, tentant dattraper sans succès la seule entité: le calme. Et ce ne seront ni François Besse (hypnotique Almaric), ni Michel Ardouin – il faudrait d’ailleurs consacrer un film entier à ce lascar (imposant Le Bihan), ni Charles Bauer (laccent marseillais de Lanvin est un beau gag involontaire) qui le sortiront de cette torpeur, de ce suicide calculé. La partie est jouée depuis longtemps, depuis quil flingua ce moudjahidine durant la guerre dAlgérie. Depuis toujours !
Il faut impérativement laisser le temps seffacer. Des jours, des lunes, quelques semaines et ensuite frapper à la porte de ce film en revoyant les deux volets à la suite. La surprise sera de taille, car Richet a parsemé son uvre de richesses encore indiscrètes, d’une mise en scène invisible dont la fulgurance prend son envol dès cette belle scène où Ludivine Sagnier nous regarde en hurlant dès les premières minutes de linstinct de mort !