Les grandes personnes

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Un voyage initiatique dans une Suède magique. Une quête de soi qui prend les autres à témoin. Grandir, un peu, en gardant ses yeux d’enfants. Parce que nous nous sommes tous dit un jour « je serai une grande personne ».

Un premier long métrage c’est un peu comme un premier roman : il est facile de tomber dans le travers qui consiste à faire du fictif avec ce qui est de l’autobiographique. Le piège de la confession sur pellicule (ou sur papier) est immense. Un besoin de se raconter qui dépasse toutes les exigences artistiques, et qui conduit parfois/souvent (rayez la mention inutile!) à un désastre esthétique. D’où le risque pris par Anna Novion (sûrement inconsciemment), pour son premier long métrage Les grandes personnes. Le lieu du récit, la Suède, est le pays dont sa maman est originaire. Les thèmes abordés qui touchent aux relations entre père et fille, au fait de devenir une grande personne (ou pas), d’apprendre sur soi… semblent très (intimement) familiers à la réalisatrice. Enfer et damnation ! Encore un énième journal intime sur pellicule ; encore un pathétique essai cinématographique. Mais voilà. Le cinéma a ses secrets : il sait nous réserver des surprises d’un jour qui restent des moments de bonheur pour toujours. Car Les grandes personnes, sous ses faux airs de documentaire de vacances, est une vraie petite merveille.

Albert (Jean-Pierre Darroussin) emmène chaque année sa fille Jeanne (Anaïs Demoustier), au moment de son anniversaire, découvrir un pays d’Europe. Malgré les qualités d’organisation (qui frisent la pathologie il faut bien le dire) du père, les vacances ne vont pas se dérouler tout à fait comme prévu. La maison louée en Suède devra être partagée avec la propriétaire Annika (Lia Boysen), qui héberge par ailleurs une amie, la frêÍe Christine (Judith Henry). Étrangers à eux-mêmes et aux autres, les personnages se dévoileront au fil des scènes avec parcimonie, laissant échapper avec grâce des gouttes de leur histoire. La composition du cadre ne permet pas d’indiscrétion : les acteurs sont souvent filmés de dos, conservant par là même leur pudeur d’enfant et leurs secrets d’adultes. Une douceur de l’intime qui se retrouve par ailleurs à l’image. Des tons pastels, doux comme les layettes, qui renvoient aux tableaux des peintres danois du XIXËme siècle. Nul doute qu’Anna Novion a mis un pinceau au bout de sa caméra.
                         

Dans ces paysages fantasmagoriques et pourtant bien réels, Albert, Jeanne et les autres se baladeront dans leur vie au gré de leurs envies. Bibliothécaire frustré et psychorigide, grand orateur passionné d’histoire, Albert est venu en Suède dans l’espoir de mettre la main sur un trésor viking. Envahissant, parfois fatiguant, un petit accident l’immobilisera dans la maison de vacances. Cette idée de chasse aux trésors, enfantine et malvenue, devait le rapprocher de sa fille Jeanne. Le père se rêvait en enfant explorateur aux côtés de sa "gamine" de fille. Mais à 17 ans, Jeanne ne l’entend pas de cette oreille. L’absence d’autorité maternelle (et de mère tout court) n’autorise pas pour autant les débordements verbaux dont use Albert. Il ne lui reste que la voix pour imposer sa présence : il ne peut plus suivre et surveiller sa fille, c’est contraint et forcé qu’il devra la laisser grandir. Une épreuve qui apportera de l’indépendance à chacun, et qui profitera aussi à d’autres. C’est effectivement en vivant et en observant ce couple père-fille que la mélancolique Christine, dans une scène touchante de baignade, affirmera à ses yeux et à ceux de Jeanne son émancipation et se liberté retrouvée.

Se croiser en vacances, dans un pays qui n’est pas le vôtre, c’est une porte ouverte à la découverte. Découverte des autres ; de soi. Laisser à autrui cette possibilité de se dévoiler afin de s’ouvrir soi-même, à ses propres rêves. Les vacances, moments de permission et de remise en question. Moments où le temps ne se compte plus. Un conte pour enfant, pour adulte… un conte pour ceux qui se disent qu’un jour, plus tard, ils seront de grandes personnes.

Titre original : Les grandes personnes

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Durée : 84 mn


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