Pour son premier passage derrière la caméra, Chloé Zhao fait le choix de s’intéresser à une culture, une communauté inhérente au fondement de la nation comme de la fiction américaine : les Indiens. Motif par excellence d’un cinéma de genre nourrit aux mythes (le western), l’Indien aura été un agent du Mal voué à l’éradication, avant d’être réhabilité dans les seventies comme une victime de l’Histoire. L’extinction contemporaine du western sonne par la suite le glas de cette figure et, par extension, de la représentation des Indiens au cinéma. Diabolisés au premier chef, idéalisés ensuite, ignorés enfin – telle est l’image qui leur est réservée au fil du temps.
Avec Les chansons que mes frères m’ont apprises, la jeune réalisatrice d’origine chinoise inscrit ce peuple marginalisé dans une démarche de portrait social aux accents documentaires, leur conférant ainsi une visibilité inédite, contemporaine de surcroît. En apprenti ethnographe, elle passe quatre années auprès des Indiens de la réserve de Pine Ridge, observe, apprend, et participe à la vie en communauté, s’imprègne d’une culture, d’une atmosphère, est amenée à faire des rencontres qui nourriront les personnages de son script.
Sur la narration lâche et sinueuse découlant de cette expérience, elle greffe une trajectoire classique de récit initiatique – un adolescent de la réserve se retrouve tiraillé entre son désir de prendre le large avec sa petite amie et les remords à l’idée d’abandonner sa mère et sa petite sœur. Le projet puise sa richesse dans ce raccord réussi entre une tendance « réaliste » (capter des moments de vie par le recours à l’improvisation, ainsi qu’à des acteurs non professionnels dans la peau de personnages inspirés de leur propre vie) et le rattachement à tout un pan de la fiction américaine – ce qui fait des Chansons que mes frères m’ont apprises un film à la fois marginal et traditionnel, universel et typiquement américain.
Quand vient l’heure du choix final pour le jeune protagoniste, le film ne témoigne pas tant d’une résignation à vivre ses rêves, que d’une acceptation de la vie telle qu’elle est, de ses souffrances inhérentes, et d’un sens de la communauté à préserver pour une culture chaque jour un peu plus menacée d’extinction.