L’amour à la ville

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Comment un film didactique devient leçon de cinéma.

Le modèle du néoréalisme

En 1953, c’est-à-dire très peu de temps après la Deuxième Guerre mondiale, le cinéma italien est toujours néoréaliste et les critiques pensent que cela va durer toute la vie. Il y eut bien sûr les magnifiques films de Roberto Rossellini, de Vittorio de Sica mais les temps sont en train de changer. L’Italie connaît son miracle économique, la vie devient plus légère mais Cesare Zavattini, théoricien et précurseur de cette école néoréaliste, un peu créée artificiellement justement sur la base d’un cinéma ruiné qui va tourner avec les moyens du bord, a l’idée de ce film à sketchs sous forme d’une enquête filmée pour un magazine de cinéma plus ou moins imaginaire. Ce sera L’amour à la ville, L’amore in città, six petits films de qualité inégale, mais qui ont le mérite de jouer le jeu de ce néoréalisme un peu moribond, faisant croire que les gens qu’on va croiser pendant ces vrais faux reportages sont des gens de la rue, des vrais gens comme on dit maintenant et non des comédiens. Peut-être la prescience de l’horrible télé-réalité actuelle !

Leçon de cinéma à l’italienne

Pourtant si ce film sort le jour même où les cinémas rouvrent en France après la pandémie, ce n’est sans doute pas le fait du hasard. Il faut y voir une intention de pédagogie car, dans ces six courts métrages réunis dans un même long comme c’était la mode dans les années 50 en Italie, le spectateur de 2020 va recevoir une leçon de cinéma à l’italienne. En effet, Michelangelo Antonioni n’est pas encore celui de L’avventura (1961) qui sortira quelque huit ans plus tard, mais on découvre déjà, à travers cette fausse enquête sur les tentatives de suicide des amants délaissés se confessant devant un drap blanc, les prémices de son cinéma élégant et désespéré. Dino Risi aiguise son sens de l’observation et du ridicule en filmant ces couples improbables qui se font et se défont le temps d’une danse dans un bal, préfigurant la suite de son oeuvre poussée au paroxysme des Monstres (1960). Alberto Lattuada, quant à lui, a déjà réalisé pas mal de films et a rencontré Federico Fellini quelques années auparavant puisqu’ils réalisèrent ensemble Luci del Varietà (1950). On observe ici son sens du comique, de la mise en scène et de l’élégance à travers cette petite pochade qui nous montre les Italiens reluquant de très belles femmes dans la rue. Notons que ce film ne pourrait plus voir le jour maintenant, et Lattuada aurait les MeeToo et les Femen aux fesses. Triste époque, bien trop mesurée et bien-pensante.

 

 

Déjà tout Fellini

Quant à Federico Fellini, dont Agenzia Matrimoniale n’est pourtant pas le premier film qu’il réalise, est sans doute le seul à être entré à fond dans la proposition de Zavattini, à savoir créer une fiction qui se veut réaliste, voire néoréaliste et il a fait fort en construisant un faux documentaire sur un jeune homme qui se rend dans une agence matrimoniale pour trouver la future femme d’un ami lycanthrope. Il fallait trouver l’idée déjà, et c’est un très beau court-métrage qui annonce déjà le Fellini stylé et mélancolique des grandes oeuvres de Satyricon (1969) à Intervista (1987).

Tout dans cet assemblage de six sketchs est passionnant, même si le thème est quand même un peu tiré par les cheveux. En parlant de cheveux, on observera la classe folle des femmes et de leurs tenues, l’élégance des hommes et le côté dolce vita insouciante de l’ensemble pour célébrer une époque hélas disparue. Mais aussi bien sûr la beauté de l’image en noir et blanc de Gianni di Venanzo qui dirigera la photo des plus grands films de l’époque, du Pigeon (1958) à Huit et demi (1963) entre autres. En effet, L’amour à la ville est une belle leçon de cinéma.

Titre original : L'amore in citta

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Durée : 103 mn


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