La lutte des classes

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Une comédie de mœurs contemporaine qui évite « l’air du temps », questionne par des paradoxes bien formulés, mais manque parfois de cohésion dans son scénario comme son travail esthétique.

Coco (Tom Levy) est au primaire, à Bagnolet ; il a des copains, ses parents aussi, ils vivent plutôt bien, quand tour à tour, les familles qui le peuvent se mettent à inscrire leurs enfants dans le privé, dans Paris. Sofia (Leïla Bekhti) et Paul (Edouard Baer), les parents de Corentin, refusent catégoriquement cette solution qui n’en est pas une et persistent : l’école publique, c’est ce qu’il y a de mieux pour leur enfant.

Quelque chose manque

Quelque chose manque formellement au film : Michel Leclerc aime filmer les groupes, les communautés, que ce soit celle qui se réunit les samedis matins au jardin partagé, ou celle de Le Nom des gens (2010) qui regardait C dans l’air un verre de rouge à la main. Le groupe qui gueule, qui s’amuse, qui ne se comprend pas, mais qui vit ensemble ; or ici, dans sa façon de filmer les lieux, les gestes, les trajectoires de chacun, on a le sentiment de louper quelque chose. Tout est gris à Bagnolet, tout est identique, tout se ressemble. La beauté et la magie propres au cinéaste ont du mal à naître dans ce paysage assez impersonnel. Pourtant, on se souvient avec plaisir des images en Super 8 du Nom des gens, la chaleur des corps, la nostalgie qui traverse un présent incertain ou douteux ; on se rappelle aussi la loufoquerie dans le duo Jacques Gamblin vieux et Jacques Gamblin jeune ou dans l’audace de Sara Forestier, que l’on peine à retrouver ici. Peut-être parce que Leïla Bekhti se contente de seulement jouer, là où Sara Forestier explosait et portait le film ; peut-être parce que La lutte des classes se commercialise en jouant aux réacs qui ont de l’auto dérision, ou en transformant ses personnages en types – l’arabe qui a réussi, l’ex anar qui se droitise… Au jeu des contradicitons, Baya Kasmi et Michel Leclerc se perdent et nous servent un repas certes très agréable par moments, où l’on jouit du verbe et des répliques parfaitement à propos, mais ces trouvailles ne compensent pas le manque de singularité sur l’ensemble du film, tant dans son propos que son développement.

 

 

Devine qui vient dîner

Leïla Bekhti exploite ici son fort potentiel comique, dont on n’a jamais douté, mais qui semblait compromis depuis que Tout ce qui brille (2010) avait placé la barre très (trop?) haut. Mais elle se contente de jouer entre « action » et « coupez » comme beaucoup de ses collègues, son interprétation manque de vue sur son personnage dans sa totalité, peut-être par des dialogues ou un découpage qui ne la mettent pas en valeur, à moins que ce ne soit l’inverse… Quant à Baer, il a son public ; on sait d’avance que ce seront des quadras qui iront voir le film. Habitués à son jeu malin et inépuisable, à sa voix unique, son sens de l’improvisation et de la répartie, ils seront sûrement déconcertés mais heureux de découvrir un nouvel emploi pour le comédien. En quadragénaire mal aimable, tendre et à la ramasse, il vient non seulement représenter une part oubliée de la population pourtant socialement très significative, et se retrouve surtout pour la première fois à la traîne, à court d’idées, de mots, dans un monde qui ne lui appartient plus. Il devient un ancien, ayant moins de répartie que son fils, et l’incarne à merveille. Autre choix intelligent et pari réussi, la présence de Ramzy Bédia en proviseur tellement réaliste, qui rappelle Rachin dans Les Choristes (2004) qui irait faire un tour chez Marjane Satrapi. Chaque personnage est croqué, dessiné, repérable instantanément grâce à l’écriture efficace de ses deux auteurs ; même si on regrette le systématisme de certains effets, qui font penser à Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri. Comme une recette, où l’on équilibre chaque personnage avec une dose d’impertinence, de politiquement incorrect ou d’inadéquation sociale, de manière à faire un tableau « nuancé » de chacun. Mais ce qui les différencie du duo mythique d’On connaît la chanson (1997)et Le goût des autres (2000), c’est leur posture, plus frontale, populaire, moins empruntée ou bourgeoise. La lutte des classes bénéficie d’une écriture quotidienne de fiction, qui emporte par sa magie, qui fait décoller, qui ose. Comme il est difficile et tentant dans la création française contemporaine de parler des religions, qui plus est d’en rire, sans passer pour des fachos ou des réacs.

 

 

La solution, c’est qu’il n’y en a pas

Ici, les personnages principaux sont critiques, observateurs, en désaccord, ils questionnent et pourtant n’occupent jamais la dangereuse position de point de vue idéologique du film. Aucun personnage n’est comique gratuitement : chacun incarne un échec politique. Le couple Sofia/Paul est mixte, bobo, progressiste, non marié mais en pleine crise ; l’institutrice névrosée est tiraillée entre un désir d’apprendre et une angoisse de vivre associée à une irresponsabilité… Sans pour autant parler à la place des gens, Baya Kasmi et Michel Leclerc parlent de là d’où ils viennent, refusent le point de vue omniscient et plein de condamnation qu’ils pourraient être tentés d’adopter. La dernière séquence du film résout l’équation par un grand point d’interrogation : chacun expose son avis en contradiction avec le précédent, composant un spectre complexe d’opinions et de points de vue. « La démocratie, c’est la diversité dans le respect » pourrait être la conclusion du film, quoiqu’un peu niaise. Il n’y a pas de vérité, par contre il est nécessaire d’avoir un lieu pour débattre et tendre vers une écoute, non pas une uniformité. Ce lieu là, ce n’est pas le Parlement, ou toute autre institution républicaine canonique : c’est Bagnolet qu’ont choisi les auteurs, et plus précisément, une école de Bagnolet. Grande déclaration d’amour pour l’école publique, dont Michel Leclerc affirme qu’elle a sauvé ses parents et tant d’autres. La représentation de l’école passe par ses enfants, adultes en puissance, qui comprennent déjà le pouvoir en jeu dans le groupe et l’exclusion ; mais aussi par cette institutrice dépassée, hautement comique et incapable de gérer quoi que ce soit – le silence en classe, les repas sans porc à la cantine, la menace terroriste… Pendant un exercice de confinement, c’est la goutte d’eau : elle menace les enfants de mort à ne pas parvenir à les garder au calme. Gérer des sujets aussi complexes et politiques sans aucun soutien est une absurdité de notre pays : l’école doit éduquer, elle en vient à terroriser.

 

 

Hors-les-murs

En ce moment, beaucoup de films parisiens s’expatrient hors de Paris sans pour autant aller à la campagne ; ils prennent place en banlieue. Le projet controversé car mondialiste du Grand Paris menace d’avaler les communes autour, les polir, les embourgeoiser… Bagnolet n’en est pas exempt ; en situant leur action dans cette ville, en faisant de Paris une tentation qui jamais ne sera la solution au cours du film, les scénaristes de La lutte des classes font de leur ville un lieu hétérotopique, capable de raconter des histoires riches et des nouvelles formes de vie. Après Tout ce qu’il me reste de la révolution qui occupait Montreuil et voulait le relier à Paris par un pont et non plus le séparer par le périphérique, La lutte des classes trouve en Bagnolet le souvenir et les caractéristiques du village, avec sa proximité, son utopie naturaliste, son voisinage, ses fêtes, son éloignement du cœur bouillonnant et mortifère qu’est la capitale… Mais aussi, ils montrent la banlieue en tant que nouvelle géographie, avec ses tours, ses esplanades vides, sa mixité sociale et culturelle, source de crises comme de dialogues. En refusant la facilité du privé qu’elle voit comme un privilège blanc, isolant et excluant, Sofia déclare son amour pour sa ville natale et pour l’école publique. L’autre école, sans la condamner dans son projet mais plutôt en tant que symbole et que réalité sociale, c’est celui-là l’échec républicain, le véritable communautarisme.

Titre original : La lutte des classes

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Durée : 103 mn


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