Zero Theorem

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<< J´ai tant besoin qu´on ait besoin de moi. >>

« Quand j’ai réalisé BRAZIL en 1984, j’ai cherché à dépeindre le monde dans lequel, me semblait-il, nous vivions. ZERO THEOREM offre un aperçu du monde dans lequel, à mon sens, nous vivons à l’heure actuelle. » – Terry Gilliam (1)

Débarrassé de la quincaillerie rétro-futuriste qui faisait tout le charme de l’univers post-Nazi de Brazil (1985), Zero Theorem exhibe un mauvais goût assumé, fidèle à celui de ses contemporains, plutôt post-Disney, post-MacDo, ou post-Toys’R’Us… c’est selon. Dans un avenir proche, Londres ressemblera donc toute entière à son Piccadilly Circus, un carrousel de publicités luminescentes peinant à camoufler la mouise qui s’étend à ses pieds, à un paradis du Street Art, à l’inverse du design des produits Apple. Si l’absence de clodos dans les décors immaculés de Star Wars (George Lucas, 1977) – on ne compte pas les Ewoks – a pu sembler suspecte aux plus lucides d’entre nous, éclectisme kitsch et misère sociale avancent par paire dans l’anticipation satirique de l’ex Monty Python qui, de toute évidence, n’a pas foi dans les progrès technologiques de l’homme.

De la foi, pourtant, le protagoniste austère de son dernier film en est doté plus que de raison, lui qui, terré dans sa chapelle, attend depuis des lustres ce coup de fil qui pourrait donner un sens à sa vie. Agoraphobe névrosé interprété par l’excellent Christoph Waltz, Qohen Leth sera bientôt la proie zélée de son patron. Pour pouvoir travailler à domicile, Qohen est prêt à accepter n’importe quoi, même la plus folle des promotions : un Tetris mathématique quotidien, voué à prouver que zéro doit être égal à 100 %. Un défi paradoxal pour un ascète naïf en quête de sens, prompt à courser les chimères…
 
 

« Tu dois prouver que Tout mène à Rien. »

L’horreur du vide, c’est ce qui caractérise les décors clinquants de Zero Theorem dont l’intrigue entérine cette terreur en enchaînant les distractions jusqu’à la conclusion, plombante : le néant existe bel et bien, il vous poursuit même, jusqu’au cinéma. De l’amitié avec Bob jusqu’à l’idylle avec Bainsley, tout est voué à l’échec, voire factice, comme les prestations sexuelles que la jeune femme, call-girl, propose à ses clients sur Internet. Si dans Brazil, seule lueur d’espoir d’une fable cruelle, un fonctionnaire arrivait à se transcender par amour pour une camionneuse avant de subir le revers kafkaïen de sa résistance, dans Zero Theorem, l’amour est aussi frelaté que la société. Qohen ne rencontre que des archétypes manipulés par l’omniprésent mais invisible Management, son fils adolescent surdoué de l’informatique et une pin-up mandatée pour le détendre, et, surtout, le détourner de sa solitude.

« Management », avec un tel pseudo donné au grand patron, l’allégorie est transparente – on pourrait même lui reprocher son manque de finesse (2) : Terry Gilliam dépeint une société où les transactions commerciales sentimentalisées tiennent lieu d’altruisme, où les pizzas sont livrées avec supplément de nibards, et où chacun capitalise sur les autres pour se donner l’illusion d’exister. Au sommet de la pyramide, une entité tentaculaire se repaît de ce besoin d’être aimé, inassouvi faute de sincérité. Que Qohen cesse d’utiliser le « nous » pour s’exprimer enfin à la première personne du singulier constitue une libération psychologique dérisoire lorsqu’on mesure les fers dans lesquels il est détenu : c’est en effet l’assouvissement des rêves de cette masse de « je » que Management instrumentalise pour asseoir son pouvoir. Alors que, planté dans l’œil du cyclone, Qohen, fou de rage dans le QG saccagé de son patron, contemple le tourbillon de photos dont il a ouvert la vanne, on songe inévitablement à la nuée de clichés intimes qui hantent aujourd’hui les espaces virtuels de la représentation de soi, Facebook en tête. A l’instar de Qohen devant l’écran qui le sépare de sa vie, Terry Gilliam n’a eu qu’à allumer son ordinateur pour trouver la clef de son Memento Mori. A quoi bon peindre des têtes de mort, lorsque les économiseurs d’écran galactiques de chez Mac nous confrontent chaque jour à l’insignifiance de l’humanité et à l’extinction prochaine du soleil ?

(1) Note d’intention du réalisateur dans le dossier de presse.
(2) Notons que le scénario remanié par Gilliam a été écrit par Pat Rushin d’après sa propre nouvelle, Call.

Titre original : The Zero Theorem

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Durée : 106 mn


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