World War Z

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Jacques Tourneur écrivait que la vraie minorité sur cette terre était celle des vivants, et que l’armée des morts était beaucoup plus puissante. Vérification avec ce blockbuster visuellement attrayant mais dénué de tout intérêt scénaristique.

Avec World War Z, le film de zombie n’a plus rien ou presque de la bonne vieille série Z. Le mort-vivant décérébré a rejoint la catégorie du cinéma populaire depuis quelques années déjà, avec L’Armée des morts (2004) de Zack Snyder (pour le pire) ou 28 jours plus tard (2002) de Danny Boyle (pour le meilleur). On pénètre ici dans le domaine du blockbuster à l’américaine : un gros studio aux commandes, la Paramount ; un réalisateur confirmé derrière la caméra, Marc Forster (Neverland, 2004 ; Quantum of Solace, 2008) ; un budget plus que confortable de 175 millions de dollars, de quoi faire exploser une bonne partie de la planète ; et une star internationale, Brad Pitt, tenant le film sur ses épaules… Ou presque, étant donné la nature déséquilibrée dudit film.

Chaos à l’écran, chaos hors l’écran

Le désordre qui a régné lors du tournage de World War Z n’a d’égal que celui qui s’étend progressivement à mesure que le récit se dévoile. Marc Forster, imposé par Brad Pitt aux pontes de la Paramount, devait apporter son cachet d’ « auteur » venu du circuit indépendant, mais il s’est révélé incapable de tenir une production aux moult effets spéciaux, entouré d’un millier de figurants et d’une valse incessante de licenciements de producteurs et de caméramans. Les rumeurs lui prêtaient une relation conflictuelle avec Pitt et une méconnaissance de la figure du zombie – ce qui, en soi, n’empêche pas de réaliser un bon film. Deux mois de retakes (séquences additionnelles) ont été nécessaires, qui ont fait passer le budget de 115 à 175 millions, et la sortie, prévue en décembre 2012 pour concorder avec la frousse de la fin du monde, a été repoussée à juillet 2013, officiellement parce que World War Z serait « plus un blockbuster d’été que de Noël » selon Paramount. Comme quoi, la langue de bois n’a pas cours qu’en politique.

Quant au scénario, il a subi des réécritures sauvages. À la fin du tournage officiel, Damon Lindelof a été appelé à la rescousse pour modifier le dernier tiers du script rédigé par Michael Carnahan, J. Michael Straczynski et Max Brooks – l’auteur du roman dont le film est adapté, ainsi que du fameux Guide de survie en territoire zombie (2003). L’acolyte de J.J. Abrams sur Star Trek (2013) a préféré faire appel à l’un de ses camarades de la série Lost (J. J. Abrams, Jeffrey Lieber, Damon Lindelof, 2004-2010), Drew Goddard (auteur et réalisateur de La Cabane dans les bois en 2012) pour mettre un point final à cette histoire de post-apocalypse zombifiée. Pas étonnant, donc, que ce récit souffre de manquements terribles et de pilules difficiles à avaler.

 

 
Vide comme la tête d’un zombie

Ces zombies qui n’en sont pas – puisqu’ils ont, en réalité, contracté une sorte de rage particulièrement véloce, comme dans 28 jours plus tard – déferlent brusquement sur le monde, sans avertissement, lors d’une scène d’ouverture plutôt réussie. La petite famille de Gerry Lane (joué par Pitt), un ancien employé des Nations Unies, est confrontée à la brutale expansion du virus au milieu d’un embouteillage de Philadelphie, USA ; dans les cinq minutes, la ville est ravagée, des incendies éclatent, la population tente vainement de fuir. Forster multiplie dès lors les plans aux quatre coins du monde pour nous donner une idée de l’ampleur apocalyptique du phénomène – procédé à la fois impressionnant et parfaitement grotesque, puisque tendant vers un universalisme de pacotille (on sait bien, in fine, que c’est un Américain qui trouvera la solution au problème). Exfiltrée vers un porte-avions de l’armée, la famille Lane profite d’une sécurité précaire tandis que Gerry est envoyé en Corée du Sud aux côtés d’un virologue pour tenter de repérer le patient zéro, le premier infecté, afin de déterminer l’origine du mal et de pouvoir en tirer un vaccin efficace.

Malgré un démarrage sur les chapeaux de roues, le réalisateur semble rapidement abandonner le combat face à un scénario bâclé usant d’artifices plutôt que d’intelligence. World War Z enchaîne les séquences d’action dans la plus pure tradition du jeu vidéo (ce qu’il aurait dû être à l’origine, aux bons soins de l’éditeur Midway, avant que le projet ne soit mis de côté), entre une poursuite effrénée dans les rues de Jérusalem, une tentative d’infiltration dans un bâtiment de l’OMS et une pandémie éclair dans la carlingue d’un avion de ligne. En choisissant de se concentrer sur le point de vue d’un unique personnage, contre une multitude dans le roman de Max Brooks (fils de Mel), le scénario perd l’essentiel du regard quasi sociologique de celui-ci pour devenir un Call of Duty en puissance, dans lequel il ne manque plus qu’une vue à la première personne et une manette de jeu.

 

 
Écolo mais pas trop

Aucun personnage n’a droit à une véritable progression psychologique, comme si leurs caractères étaient figés pour l’éternité. Entre l’ouverture et le dénouement, Gerry Lane n’a pas gagné ni perdu quoi que ce soit en humanité, même confronté aux pires éventualités d’une société en déliquescence. L’acteur n’est pas seul en cause : Brad Pitt, également producteur via sa société Plan B, fait correctement son travail avec un bagout jamais démenti, même si sa position de gentil père de famille, soucieux des siens, ne s’accorde pas tout à fait avec la froideur de certains de ses gestes (couper la main d’une soldate israélienne en moins d’une seconde pour empêcher une morsure d’infecter le reste de son corps). Quant à sa famille, elle est tout simplement inexistante, mise de côté au bout de vingt minutes sur le porte-avions. Une trajectoire scénaristique propose bien de jouer avec l’asthme de sa fille aînée, problématique que l’on aurait imaginé faire son retour au moment critique, eu égard à la « trouvaille » de Lane pour combattre le virus, mais cette voie ne mène nulle part à l’image d’un script dénué d’enjeux et de suspense.

C’est une double perspective qui permet de ne pas oublier complètement World War Z après la projection, malgré cette vacuité psychologique et narrative. D’abord, le générique déroulant ses images de pollution, d’usines crachotantes et de surpopulation (à l’instar d’un classique du cinéma, Soleil vert de Richard Fleischer, 1973), sur une musique angoissante du groupe britannique Muse, promesse d’une lecture environnementale du problème zombie qui n’est ensuite jamais plus évoquée. Ensuite, ces images impressionnantes montrant des hordes de créatures ni mortes, ni tout à fait vivantes, s’engouffrant dans les moindres interstices, se grimpant les unes sur les autres pour franchir les plus hautes murailles, et déferlant comme une vague colossale jusqu’à s’écraser contre la grève en un flot continu et inexorable – de façon bien plus effrayante que les précédentes courses de zombies parce qu’eux donnent sans cesse l’impression de ne fonctionner qu’en meutes ou en ondes imparables.

Restent quelques questions – des ambiguïtés qu’il est impossible de passer sous silence. En-dehors du fait que seul Gerry Lane, Brad Pitt le brave type, parvient à trouver la solution pour se protéger du virus – ce que des milliards d’êtres humains n’ont pas vu avant lui – et que le film insiste sur la gestion des évènements par l’armée retranchée sur son porte-avions, malgré la disparition de tous les gouvernements (donc, de fait, des institutions qui permettent aux armées de rester légitimes), le scénario présente Israël comme la seule nation ayant eu la présence d’esprit et les moyens d’éviter la catastrophe. Pour quelles raisons ? Parce que le pays construit des murs depuis deux mille ans – analyse due à un soldat américain – et parce que les Israéliens ont pour habitude de ne jamais se laisser surprendre par l’impossible, dixit l’officier que rencontre Lane à Jérusalem, en donnant l’exemple de la guerre du Kippour en 1973, quand les États arabes environnants les attaquèrent par surprise. Cette réactivité n’empêchera pas Jérusalem de tomber bientôt (à cause de chants palestiniens !), mais le message, somme toute, est équivoque. Pour un film qui n’a rien à dire le reste du temps, on se demande vraiment quelle place donner à cette incartade idéologique d’un goût douteux.

Titre original : World War Z

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Durée : 116 mn


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