Isabelle Huppert est Maria Vial. La particularité de son jeu – cette façon d’être toujours comme en dehors, à l’instar d’un observateur – sied à ce personnage buté, indifférent aux événements et à leur portée. Elle qui a vécu au plus près de cette terre, de ces Africains qu’une guerre civile déchire, n’en comprend pas les bouleversements. Du moins ne semble pas vouloir affronter la réalité. Claire Denis fait du visage de Maria, qu’elle donne à disséquer avec des plans serrés, la feuille de route de cet égarement. Les rappels à la raison sont pourtant nombreux. Ses employés sont cinglants : son esprit embrumé n’a-t-il pas compris que le sort de "la Blanche" qu’elle est constitue un sauf-conduit dans le chaos imminent ? Son époux, au nom de l’amour, attire son attention sur cette obsession qui ne serait que le fruit d’un vil attachement matériel. Les cruels enfants-soldats qui pillent sa maison ou la pharmacie du coin, le chef rebelle qui a trouvé refuge dans sa demeure, sont autant de signes sanglants.
Car cette terre africaine qu’elle considère comme son foyer lui est étrangère parce qu’elle ne s’est jamais véritablement intéressée à ceux qui en constituaient l’essence. Maria est l’incarnation de tous ceux qui se cachent derrière un masque de bons sentiments et d’idées préconçues pour mieux toiser "ces pauvres Africains". Son aveuglement de Blanc, comparable à celui de la mère qu’elle est aussi, se trouve être une forme de mépris, celle qui prévaut dans une relation colon/colonisé. L’autre étant dépourvu de besoins.
White Material de Claire Denis fait ainsi étrangement écho au film de Frédéric Chignac, Le Temps de la kermesse est terminé, qui traite aussi de cet impérialisme persistant. En ces temps où les Français sont obligés de débattre de leur identité, le calendrier culturel les invite à renoncer à tout nombrilisme afin de mettre en perspective leur rapport à autrui. Notamment avec l’Afrique. Et encore une fois, la clairvoyance est du côté de l’art. En tout cas du cinéma.