White Material

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Dans « White Material », Claire Denis s´attache aux errements d´une exploitante de café, obligée de quitter ses terres africaines pour cause de conflit. L´univers de Denis et l´interprétation d´Isabelle Huppert se prêtent parfaitement à cette fuite en avant.

Une plantation de café quelque part en Afrique, dans un pays où les troubles politiques obligent les expatriés français à quitter le territoire. Il n’en est cependant pas question pour Maria Vial, l’héroïne de White Material, qui tient à récolter son café. Pour y parvenir, elle doit non seulement convaincre ses ouvriers africains, mais aussi les siens du bien-fondé de sa démarche. Son mari semble vouloir la sauver d’elle-même alors que son grand fils, qu’elle traite comme un enfant, part à la dérive.

Isabelle Huppert est Maria Vial. La particularité de son jeu – cette façon d’être toujours comme en dehors, à l’instar d’un observateur – sied à ce personnage buté, indifférent aux événements et à leur portée. Elle qui a vécu au plus près de cette terre, de ces Africains qu’une guerre civile déchire, n’en comprend pas les bouleversements. Du moins ne semble pas vouloir affronter la réalité. Claire Denis fait du visage de Maria, qu’elle donne à disséquer avec des plans serrés, la feuille de route de cet égarement. Les rappels à la raison sont pourtant nombreux. Ses employés sont cinglants : son esprit embrumé n’a-t-il pas compris que le sort de "la Blanche" qu’elle est constitue un sauf-conduit dans le chaos imminent ? Son époux, au nom de l’amour, attire son attention sur cette obsession qui ne serait que le fruit d’un vil attachement matériel. Les cruels enfants-soldats qui pillent sa maison ou la pharmacie du coin, le chef rebelle qui a trouvé refuge dans sa demeure, sont autant de signes sanglants.
 
 

Si l’on n’adhère pas au style de Claire Denis – arythmie imposée à l’intrigue du fait des plans longs que la cinéaste affectionne –, il faut néanmoins reconnaître qu’il convient tout particulièrement à l’histoire contée par White Material. D’autant plus que la déconstruction temporelle de la narration – les nombreux flashbacks – vient rompre la monotonie ambiante. Les inclinatons avouées de Claire Denis sont surtout validées par la symbolique véhiculée par le film. On peut voir dans ce film le combat d’un individu, d’une femme, qui se raccroche à un bateau qui chavire. Mais dans le contexte africain, celui attaché à l’œuvre de Claire Denis – depuis son premier film Chocolat (1988) – marquée par une enfance passée au Cameroun avant l’indépendance (1960), le propos de la réalisatrice renvoie aux rapports que les Blancs expatriés ont (ou n’ont pas finalement) avec les populations autochtones africaines. Maria Vial est un autre visage de la colonisation. Celui qui s’ignore en toute sincérité.

Car cette terre africaine qu’elle considère comme son foyer lui est étrangère parce qu’elle ne s’est jamais véritablement intéressée à ceux qui en constituaient l’essence. Maria est l’incarnation de tous ceux qui se cachent derrière un masque de bons sentiments et d’idées préconçues pour mieux toiser "ces pauvres Africains". Son aveuglement de Blanc, comparable à celui de la mère qu’elle est aussi, se trouve être une forme de mépris, celle qui prévaut dans une relation colon/colonisé. L’autre étant dépourvu de besoins.

White Material de Claire Denis fait ainsi étrangement écho au film de Frédéric Chignac, Le Temps de la kermesse est terminé, qui traite aussi de cet impérialisme persistant. En ces temps où les Français sont obligés de débattre de leur identité, le calendrier culturel les invite à renoncer à tout nombrilisme afin de mettre en perspective leur rapport à autrui. Notamment avec l’Afrique. Et encore une fois, la clairvoyance est du côté de l’art. En tout cas du cinéma.

Titre original : White Material

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Durée : 102 mn


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