Apprentissage du deuil
Que se passe-t-il entre deux couchers de soleil ? Une vie peut basculer, une vie peut renaître. C’est ce qui va arriver à la jeune Una qui s’endort avec son petit ami alors qu’il doit retrouver son ancienne copine et rompre avec elle. Au réveil, elle voit sa vie bouleversée par un événement qu’elle ne pouvait ni prévoir, ni bien sûr empêcher. D’une manière bergmanienne, le réalisateur déjà récompensé pour trois courts et deux longs-métrages (Sparrows en 2011 et Volcano en 2015) réussit l’exploit de mettre en scène le pathos d’une vie qui bascule et le fatum dans toute sa splendeur morbide qui s’attèle parfois à détruire des destinées en les recomposant cependant. Cette longue journée d’été en Islande se décompose en plusieurs parties qui alternent l’amour, l’amitié, le chagrin et la beauté puisqu’Una est étudiante en art et fait ici l’apprentissage du deuil et de la renaissance. Ce film, en demi-teinte, est d’une beauté incandescente malgré les non-dits bien maîtrisés et la parole censée libérée alors que son personnage principal, Una, ne peut ni s’expliquer, ni se confier car le lourd secret qui l’entrave, à savoir cet amour qui vient de disparaître emporté par un accident absurde.
Cacher un secret
« C’est vraiment étrange quand un événement se produit à la fois sur une grande et sur une petite échelle : en général, les gens font preuve de bonté et de compassion entre eux, ils essaient de se soutenir, confie le réalisateur. Malgré tout, la vie continue et personne ne sait en réalité ce que vous ressentez ou ce que vous traversez. D’une certaine manière, notre personnage principal, Una, est à la marge des événements. Elle n’occupe pas la place qu’elle mérite, parce qu’elle porte en elle un secret. » L’exploit de ce film magnifique tient justement dans l’équilibre du scénario écrit par le réalisateur lui-même qui repose justement sur cette parole qui serait libératrice et qui est pourtant retenue par la force des événements dans la gorge d’Una, jusqu’à ce qu’elle puisse réconforter l’ancienne petite amie de son amoureux.
La réalité en mouvement
Ce triangle amoureux, qui fait parfois un peu penser à Persona d’Ingmar Bergman, est d’une grande beauté, d’autant que Rúnar Rúnarsson est parvenu à maintenir jusqu’au bout sa gageure qui était de faire tenir toute la diégèse du film sur une même journée. « Je savais que le film tiendrait sur une seule journée, pour faire sentir le passage du temps. De nombreuses scènes ont été filmées en une prise. Je souhaitais qu’on sente cette journée qui s’écoule, qu’on soit au plus près d’Una et de cette journée dans laquelle elle baigne. En temps normal, on verrait aussi la montée en puissance et les conséquences de cette journée, que ce soit le plus beau jour d’une existence ou le pire : la construction fonctionne pour les deux sentiments. De mon côté, je voulais saisir la réalité en mouvement. » Et cette journée aux rayons doux et dorés, dont la lumière magnifique est due à Sophia Olsson, assortie aux yeux et aux cheveux roux des deux interprètes principales – Elín Hall et Katla Njálsdóttir – nous emplit d’une douce mélancolie sur le temps qui passe et la mort qui rôde et n’épargne rien, ni personne. Lien vers le visuel : https://www.youtube.com/watch?v=DjIvRBexld0