« Passer de la burqa au string, faudra m’expliquer le principe du sas » dira avec ironie Max face à cet environnement de corps dénudés et bronzés qui se prélassent. Quelle adaptation, quelle réparation envisager ou souhaiter dans un paysage à mille lieux des images mentales ramenées par les soldats ? Rapidement, la potentielle réadaptation à la vie « quotidienne » via une période de vacances semble compromise : au milieu des séances de sport et de détente, le « debriefing collectif » amène chacun à revivre, à partir de logiciels de simulation et de vidéo de réalité virtuelle, les moments critiques qu’il ou elle a vécu. C’est alors une autre paire de masques pour les yeux qui colle les visages, obligeant cette fois à voir, à recréer, par le biais d’images en temps réel, le récit dont on se souvient, à raviver l’image traumatique afin de la confronter. Cette idée est exemplifiée par une embuscade ayant mal tourné, qui révèlera des versions différentes, aux affects ou trous noirs distincts selon les membres du groupe. Plutôt qu’en une énième mise en scène racoleuse sur les traumatismes post-guerre, les réalisatrices interrogent de façon souterraine les traces du vu et du non vu par le biais de la confrontation des deux champs de vision qu’elles créent : l’espace de cet hôtel paradisiaque et aseptisé et celui, sombre et morne, de la salle de réunion d’où ressurgissent virtuellement des parcours de guerre et leur événement, saisissant tout le cadre de la violence qu’ils réactivent. A ce titre, les séances confrontant chacun à « rejouer » ses souvenirs sont les scènes du film qui possèdent le plus de profondeur, non pas dans leur discours mais par une complexité rendue par l’image : l’appareillage technologique qui couvre les yeux et replonge, voire poursuit, le sujet jusqu’au lieu revisité de ses traumatismes, traduit bien l’isolement psychique retors que subissent les soldats et l’inadéquation criante qui est en jeu. A l’image de cette carte montrée à l’écran, traçant le chemin en pointillés de l’Afghanistan jusqu’à Chypre, Voir du pays apparaît comme une tentative d’éclaircissement de l’image mentale persistante, quels que soient ses bouleversements spatio-temporels.
Voir du pays
Article écrit par Lucile Marfaing
Mettant en scène la période de sas de militaires rentrés de mission en Afghanistan, « Voir du pays » interroge de manière plutôt singulière la complexité de l’adaptation psychologique.