Un ciel bleu parsemé d´un je-ne-sais-quoi de féerique. Une ville au calme olympien. Puis c´est la rupture. Une fenêtre donnant sur un toit d´immeuble s´ouvre délicatement. Un visage féminin apparaît. Tout en elle exprime la malice : son regard, son sourire, ses gestes. Elle réussit à se lever, regarde autour d´elle puis se balade à travers ce lieu singulier. Finalement, elle réussit à trouver une échelle qu´elle utilise pour revenir au rez-de-chaussée. Là, elle quitte les lieux en courant. Il n´y a pas de doute possible : nous sommes bien dans un film de Rivette.
Avant de commencer, il faut présenter l´homme. Ancien critique durant la grande période des Cahiers, Jacques Rivette fait partie de la bande des « jeunes turcs » (Godard, Chabrol, Truffaut et Rohmer). Pratiquement tout ses films ont pour thème le complot, et pour indication géographique la ville de Paris. Dans son dernier film, Rivette ne déroge pas à sa propre règle, sauf qu´ici nous avons affaire non pas à une machination, mais plutôt à une sorte de chassé-croisé amoureux dont les nombreuses pistes narratives donnent au film une élégance toute feutrée.
Le film commence dans un théâtre par une scène de répétition et se terminera quelques jours plus tard sur la même scène, mais cette fois-ci en présence de tous les personnages qui ont illuminé l´histoire : le théâtre de la vie a pris le pas sur le théâtre classique, celui de la fiction. Dans Va savoir, Paris est toujours aussi mystérieuse. Plus qu´une simple ville, c´est un jeu de piste où l´on peut contempler des personnages aux destins plus ou moins ambigus. Il y a parmi cette cohorte d´artistes, une dénommée Camille (Jeanne Balibar). Comédienne légèrement fantasque, qui a quitté la France – et son amant de l´époque – sur un vigoureux coup de tête. Le fait de revenir pour jouer dans une pièce de théâtre dont son nouveau mari Ugo (Sergio Castellitto) est le metteur en scène, lui procure quelques inquiétudes. Quant à ce dernier, il profite de son séjour parisien pour « vérifier l´existence d´un manuscrit inédit de Goldoni, dont il ambitionne d´être le découvreur ».
Ce double canevas permet à Rivette de déployer d´autres historiettes qui se traduisent par une présence progressive de personnages secondaires donnant le ton : une part de sensualité, de mystère et de drôlerie qui forment une ronde où le Destin prendrait un malin plaisir à contrôler ces vies éparpillées pour mieux cerner leurs désirs, leurs peurs mais aussi leurs vraies valeurs. Parmi eux, l´ancien amant de Camille (Jacques Bonnaffé) qui n´a toujours pas accepté la fuite de son ancienne maîtresse, une prof de danse (Marianne Basler) au passé trouble qui lutte constamment pour ne pas retomber, un jeune gigolo (Bruno Todeschini) qui découvrira l´amour et une jeune étudiante (surprenante Hélène de Fougerolles) qui détient la clé du mystère Goldoni.
Tout comme Despleschin dans Esther Kahn, Rivette utilise le théâtre comme un ressort filmique. Mais là où le premier avait opté pour le rapport art / vie, le second décide de ne pas centrer son film vers ce sujet maintes fois utilisé. En choisissant de suivre Camille et Ugo en dehors de la représentation théâtrale, donc dans leur intimité, Rivette sonde l´âme humaine et s´amuse à lui réserver des surprises de taille. Pour résumer, Va savoir est construit sur le motif du cercle vicieux, dont le personnage central est Camille. Quand elle apparaît sur l´écran, elle débloque le processus de paix, crée des désirs et tente de contrôler tous les va-et-vient amoureux jusqu´à la fameuse séquence sur les toits, noyau du film, où elle se fera prendre à son propre jeu.
En se faisant enfermer par son ancien amant dans une sorte de cagibi, c´est le système qu´elle a initié qui part soudainement en vrille. A partir de cette étape, Camille décidera de prendre un autre envol et de repartir sur de nouvelles bases. Pour mieux filmer cette liberté recouvrée, Rivette et sa caméra effleurent le petit air malicieux de Camille (superbe) et la libèrent de ce poids par une évasion par les toits (petit clin d´oeil à son premier film, Paris nous appartient).